Peiresc et Gassendi, astronomes et érudits

Pierre Gassendi

Texte de Yvon Georgelin,
Astronome à l’observatoire de Marseille,
2 place Le Verrier
13248 Marseille cedex 4
Téléphone 04 95 04 41 28

J’ai voulu traiter la philosophie d’une manière qui ne fût point philosophique ; j’ai tâché de l’amener à un point où elle ne fût ni trop sèche pour les gens du monde, ni trop badine pour les savants.
Préface aux Entretiens sur la pluralité des mondes, 1686
Fontenelle
Pour transmettre la science, il faut être un savant ; pour la faire aimer, il faut être un homme d’esprit. Or rien de plus rare qu’un savant spirituel ou qu’un homme d’esprit savant. Le savant est, de sa nature, grave et ennuyeux ; l’homme d’esprit, ignorant et léger. L’un fait craindre et fuir la vérité, l’autre propage l’erreur ou le mensonge.
conversation  avec Pitre-Chevalier, 1862
François Arago

1610 : l’année des grandes découvertes astronomiques

L’astronomie renaît de toutes parts : Copernic rétablit le système du monde ; Tycho-Brahé, au haut de sa tour, rappelle la mémoire des antiques observateurs babyloniens ; Képler détermine la forme des orbites planétaires. Mais Dieu confond encore l’orgueil de l’homme en accordant aux jeux de l’innocence ce qu’il refuse aux recherches de la philosophie : des enfants découvrent la lunette astronomique. Galilée perfectionne l’instrument nouveau ; alors les chemins de l’immensité s’abrègent, le génie de l’homme abaisse la hauteur des cieux, et les astres descendent pour se faire mesurer.

Génie du Christianisme, 1802, Chateaubriand
Assassinat de Henri IV et découverte des satellites de Jupiter
L’année 1610 marque, pour tous les Français, l’assassinat du roi Henri IV par Ravaillac. Au mois de mai de cette année-là, alors qu’il examinait les trésors architecturaux du monastère de Montmajour, Nicolas Fabri de Peiresc, un astronome érudit de Provence, reçoit un courrier lui annonçant  » la mort incroyable et si douloureuse du roi Henri « , comme nous le rapporte Pierre Gassendi, son ami fidèle. Pourtant, par l’intermédiaire de Malherbe, poète de la Cour, Peiresc avait averti « ce grand roi éminemment noble » de la machination qui se tramait contre lui. « Cette machination ne pouvait échapper pleinement ni en Espagne ni en Italie, car les ambassadeurs du roi eux-mêmes, et nommément cet excellent homme Jean Bochart de Champigny, qui exerçait à Venise, en avaient averti le roi : il fut prouvé par ailleurs que les marins marseillais, tous ceux qui étaient allés en Espagne dans les deux mois, avaient rapporté que la rumeur s’était répandue en Espagne annonçant que le roi de France avait été tué ou devait être tué à l’épée ». Par le même courrier de mai 1610, Peiresc apprend aussi, par une lettre d’Italie, « que Galilée, avec un télescope récemment inventé, avait découvert de grandes choses dans le ciel, des spectacles étonnants d’étoiles et spécialement quatre nouvelles planètes entourant Jupiter qu’il avait dénommées Médicis « .La lunette astronomique: belle invention ? ou coup de pouce du hasard ?
        Au cours du Moyen-Âge, la nouvelle science de l’optique fait de grands progrès. Dès le XIe siècle, Ibn al Haytham, souvent désigné sous le nom d’Alhazen, calcule déjà des tables de réfraction pour l’eau et pour le verre. Les premières lunettes de vue ou occhiali commencent à apparaître, on attribue cette belle invention à un Florentin, Armati. Dès le XIIIe siècle, les verriers de Venise en fabriquent dans leur île secrète de Murano. En 1305, Gordon, professeur de médecine à Montpellier, fait état de ces lunettes pour corriger la vue : » ce collyre a une telle vertu qu’il peut mettre un vieillard en état de lire les caractères les plus fins sans le secours des lunettes «  et en 1363 Guy de Chauliac, toujours à Montpellier, prescrit des bésicles. Le plus ancien portrait connu d’un personnage portant des lorgnons est celui du cardinal Hugues de Provence que l’on peut admirer dans une fresque de Thomas de Modène, datée de 1352, à l’église Saint-Nicolas de Trévise ; ce personnage, occupé à la lecture, est atteint de presbytie et utilise des verres convexes. Les lunettes de vue deviennent un signe de prestige et les riches marchands se font souvent représenter portant ces nouveaux et précieux attributs.
       Nous ne savons pas avec certitude à qui l’on doit attribuer l’invention de la lunette astronomique. Dès 1538, un passage de l’Homocentria  fait penser que Frascator avait remarqué le pouvoir grossissant d’une combinaison de deux lentilles ; plus tard Jean-Baptiste della Porta, que Peiresc avait rencontré à Naples, en parle aussi dans sa Magie naturelle, mais ces deux opticiens, s’ils ont pu approcher de la solution, n’ont pas construit de lunette. On en est sûr, par contre, pour Jean Lippershey un fabriquant de bésicles de Middleburg qui demanda, le 2 octobre 1606, un brevet pour l’invention d’un instrument  » servant à faire voir loin « . En 1608, le brevet lui est refusé, sur la réclamation de Jacques Métius d’Alcmaar, fils du géomètre Adrien Métius, qui disait avoir construit un tel instrument depuis plus de deux ans. De telles questions de priorité sont toujours délicates. Pour Peiresc, savant érudit de Provence, la question de priorité semble tranchée, dans son cabinet d’Aix en Provence il expose en bonne place un portrait de Jacques Métius sous lequel il a fait écrire la mention « Jacob Mutzius, Adriani filius, Algmariensis, Telescopii inventor ».
       Métius ou Lippershey ! Pour l’un et pour l’autre, il semble bien que cette invention de la lunette astronomique – c’est-à-dire l’association à une distance déterminée d’un objectif convergent et d’une deuxième lentille oculaire – soit le fruit du hasard. Les astronomes Arago et Olbers racontent que les enfants de l’opticien hollandais Lippershey jouant dans la boutique de leur père avec une lentille convexe et une lentille concave les écartèrent à la bonne distance et virent le coq du clocher très agrandi. Jacques Métius également aurait trouvé par hasard cette combinaison de deux lentilles nous précise le savant Gassendi, l’ami fidèle de Peires.
Dans sa Dioptrique, Descartes écrit : « À la honte de nos sciences une si admirable invention n’a premièrement été trouvée que par l’expérience et la fortune. Il y a environ trente ans qu’un nommé Jacques Métius, homme qui n’avait jamais étudié, bien qu’il eût eu un père et un frère qui ont fait profession de Mathématiques, mais qui prenait plaisir à faire des miroirs et des verres brûlans, ayant à cette occasion des verres de différentes formes, s’avisa de regarder au travers de deux , dont l’un était convexe, l’autre concave ; il les appliqua si heureusement au bout d’un tuyau, que la première des lunettes dont nous parlons en fut composée ». Ce texte est révélateur de la philosophie de Descartes selon laquelle l’esprit humain, seul entre quatre murs, peut accéder à toutes les connaissances. On sait aujourd’hui que les découvertes scientifiques peuvent être dues à un travail expérimental ardu et collectif comme à un esprit génial ; une part de chance peut aussi intervenir, mais est-ce de la chance ou de la curiosité de chercher les images données par deux lentilles que l’on écarte progressivement ? Louis Pasteur ne disait-il pas « le hasard ne favorise que les esprits bien préparés ».
Huyghens, plus modeste que Descartes, reconnaît dans sa Dioptrique la beauté et la difficulté de cette invention : « Je mettrais sans hésiter au-dessus de tous les mortels celui qui par ses seules réflexions, celui qui sans le concours du hasard serait arrivé à l’invention de la lunette astronomique ».
En pleine époque romantique,dans le Génie du Christianisme, Chateaubriand écrit : « Mais Dieu confond encore l’orgueil de l’homme en accordant aux jeux de l’innocence ce qu’il refuse aux recherches de la philosophie : des enfants découvrent la lunette astronomique. Galilée perfectionne l’instrument nouveau ; alors les chemins de l’immensité s’abrègent, le génie de l’homme abaisse la hauteur des cieux, et les astres descendent pour se faire mesurer ». La phrase a peut-être un certain ton littéraire mais l’explication est particulièrement juste : la lunette astronomique donne réellement une image rapprochée des objets, le génie de l’homme abaisse la hauteur des cieux, et les astres descendent pour se faire mesurer. Chateaubriand devait aussi avoir une bonne culture astronomique pour avoir entendu raconter cette aventure des enfants Lippershey.
Les marins hollandais se servent alors de cette lunette  » pour faire voir loin « . On en vend à La Haye en 1608, et l’on en trouve aussi, en avril 1609, chez les lunetiers parisiens et sur le Pont Marchand (aujourd’hui pont au Change). Dans leur livre Lunettes et télescopes, la bible de tous les constructeurs de télescopes, les astronomes et opticiens Danjon et Couder nous citent certains passages Du mercure François de cette époque : « en ce mesme mois d’avril 1609 à Paris, il se veit aux boutiques des lunetiers une nouvelle façon de lunettes et en juin 1609 Galilée fut instruit par son correspondant, Jacques Badouère, de l’apparition des lunettes hollandaises chez les marchands de Paris ; sans perdre un instant, il en construisit successivement plusieurs qui grossissent successivement de 3 à 33 fois.         Peu importe l’anecdote, c’est à Galilée que revient la gloire de braquer, le premier, cette lunette astronomique vers le ciel et d’y faire tant de découvertes, dès janvier 1610. L’usage s’en répand vite en Europe parmi les astronomes avides d’explorer le ciel. L’année même, à Aix, Peiresc découvre la nébuleuse d’Orion avec une lunette.
Pendant que Galilée, Peiresc, Képler, Fabricius commencent la conquête du ciel, beaucoup restent encore sceptiques. Les images que donnent cette curieuse lunette représentent-elles la réalité? Ce n’est pas évident à l’époque. Les performances de cette lunette astronomique sont bien modestes devant celles d’une paire de jumelles d’aujourd’hui, mais elle apporte pourtant une vision nouvelle de l’Univers ; des astres flous et uniformes à l’œil nu montrent des détails surprenants et inattendus à la lunette. Il faut cependant se méfier des images observées à travers ces verres de mauvaise qualité qui donnent des images troubles, déformées, avec des ombres ou des reflets parasites. Galilée, Képler et les astronomes provençaux, Peiresc et Gassendi, ont toute la prudence scientifique nécessaire, surtout avant d’annoncer des découvertes mettant en cause les conceptions du monde.Les découvertes astronomiques de la « Grande année »
1606-1608                   Métius et Lippershey inventent la lunette astronomique
1610                            Galilée découvre les phases de Vénus
1610                            Galilée découvre les satellites de Jupiter
1610                            Galilée observe des montagnes et des cratères sur la Lune
1610                            Fabricius observe les taches solaires
1610                            Peiresc découvre la nébuleuse d’Orion
1610                            Peiresc découvre l’amas de la Crêche
1610                            Galilée et Peiresc résolvent la Voie Lactée en étoiles
1612                            Mayer découvre la nébuleuse d’Andromède
1604 et 1618               Képler énonce ses trois lois sur l’orbite des planètesL’année la plus riche en découvertes astronomiques de tous les siècles
         L’année 1610 est celle des plus grandes et des plus belles découvertes de la longue histoire de l’astronomie, la plus ancienne des sciences. Galilée découvre quatre lunes, quatre satellites tournant autour de la planète Jupiter ; désormais la Terre n’est plus la seule à posséder un satellite. Fabricius, un astronome hollandais, découvre la présence de taches sur le Soleil et Galilée observe la présence de montagnes et de cratères sur la Lune ; ainsi, le Soleil et la Lune, considérés jusqu’alors comme parfaits, présentent des défauts. En décembre 1610, à Aix en Provence, à l’aide d’une lunette acquise en quelques semaines, Peiresc découvre la nébuleuse d’Orion, la première nébuleuse découverte dans un ciel que l’on croyait jusqu’alors exclusivement peuplé de planètes – les astres errants – et d’étoiles – les astres fixes.
Grâce à sa lunette Galilée découvre que la planète Vénus présente des phases c’est-à-dire que son disque est partiellement éclairé comme la Lune au moment des quartiers. Dans son Histoire des Mathématiques, Montucla nous rapporte que Galilée vérifie ainsi cette prédiction du siècle précédent : « Copernic avait autrefois dit être nécessaire, sçavoir que Vénus eut des phases semblables à celles de la Lune, le Télescope le démontra à Galilée ». C’est la variation d’éclat de Mars, sensible à l’œil nu, qui avait fait pencher Copernic en faveur de l’héliocentrisme : l’éclat de Mars est intense quand Mars et la Terre se trouvent du même côté du Soleil et côte à côte sur leurs orbites – comme cela vient de se produire en août 2003 – mais il est faible quand Mars et la Terre sont de part et d’autre du Soleil, à l’opposé sur leur orbite ; ainsi en prenant la distance Soleil-Terre égale à 1 unité astronomique et la distance Soleil-Mars égale à 1,5 unité astronomique, Mars est situé à 0,5 unité astronomique de la Terre dans le premier cas et à 2,5 unité astronomique dans le second cas, bref, 5 fois plus loin, 25 fois plus faible. Avec sa lunette Galilée peut mesurer la variation d’éclat de Mars et la variation de son diamètre apparent. Ces deux découvertes – phases de Vénus et variation d’éclat de Mars – prouvent la validité de l’hypothèse héliocentrique. Le modèle héliocentrique de Copernic qui était une hypothèse mathématique devient, grâce à Galilée, une réalité physique vérifiée au télescope.
Dès l’Antiquité, par des nuits sans Lune, bergers et marins avaient discerné dans le ciel une large bande à l’aspect laiteux : la Voie lactée ou Galaxie. Cette Voie lactée ceinture toute la sphère céleste, sa partie la plus riche est visible dans l’hémisphère sud. Depuis l’antiquité grecque on a toujours associé l’image de la Voie lactée à celle du lait, dans toutes les civilisations et toutes les langues, Milky Way en anglo-américain. Dans son tableau « La Voie lactée » aujourd’hui au musée du Prado à Madrid, le magistral Rubens, l’ami et correspondant de Peiresc, représente une giclée de lait jaillissant du sein de sa Vénus, et l’on voit chaque goutte de lait se transformer en étoile. Exception culturelle, dans les pays de langue d’oc, la Voie lactée est associée à un appel au voyage vers un autre monde ; les félibres la nomment Lou Camin de San Jacquo car, en été, à l’aube, elle indiquait aux pélerins la direction de Saint-Jacques de Compostelle. Galilée et Peiresc dirigent leur lunette vers la Voie lactée et apportent la preuve que cette traînée laiteuse dans le ciel est constituée d’une myriade d’étoiles faibles comme l’avait pressenti Démocrite, un philosophe grec. C’est un bond vers les profondeurs de l’Univers.
Peu de temps après, en 1612, un astronome allemand Mayer, dit Marius, découvre dans le ciel la nébuleuse d’Andromède, mais c’est seulement en 1924 que l’astronome Edwin Hubble démontrera qu’il s’agit d’une galaxie spirale extérieure à notre Galaxie, elle aussi composée d’une myriade d’étoiles et constituant à elle seule un Univers, à l’égal de la Voie lactée.
A cette époque tout bascule. Képler découvre que les planètes décrivent autour du Soleil non pas des cercles mais des ellipses plus ou moins allongées et qu’elles parcourent leur orbite avec une vitesse variable qui passe par un maximum à l’approche du Soleil. Le cercle qui était depuis les Grecs le symbole de la perfection et de la beauté est désormais remplacé par l’ellipse qui devient un élément de l’art baroque. Cette élégante figure sera reprise dans le tracé des coupoles, des places et des façades par les grands architectes : Bernin et Borromini à Rome, Le Vau pour l’Institut de France – collège des Quatre-Nations sur la Seine – et Pierre Puget pour le dôme de la chapelle de la Vieille-Charité à Marseille.

De l’astrologie à l’astronomie
         Les astronomes provençaux sont à l’origine de la renaissance de l’astronomie en France. Ils participent à ce flot de découvertes de l’année 1610 qui imposent une nouvelle vision de l’Univers et se heurtent aux trois obstacles majeurs de cette époque : la doctrine d’Aristote, la vérité révélée par la Bible, la sorcellerie et l’astrologie alors très répandues. Le Midi de la France échappe à la règle et, gagné par l’esprit de libre recherche, devient une terre ouverte aux idées nouvelles. Peiresc et Gassendi abandonnent l’idée d’Aristote d’un ciel parfait et immuable. Ils prennent le parti de l’héliocentrisme et interviendront vigoureusement en faveur de Galilée pourtant lâché par des savants comme Descartes. Ils luttent enfin contre la sorcellerie : sorciers et sorcières avaient acquis un grand pouvoir sur le peuple et empêchaient tout progrès de la société ; l’historien Jean Sévillia dans Historiquement correct nous rapporte qu’en moins d’un siècle, vers le temps d’Henri IV, on brûla en pays protestants et catholiques quelque 100 000 sorciers et sorcières, 10 fois plus de morts que les guerres de religion en trois siècles. L’astrologie fascinait énormément, et elle se distinguait mal de l’astronomie puisque les astronomes comme Tycho Brahé et Képler possédaient les connaissances permettant de prévoir des événements célestes comme les éclipses, non de prédire l’avenir ; la mère de Képler fut accusée de sorcellerie, et lui-même, traité de fils de sorcière, dut abandonner sa chaire de Linz. C’est à Gassendi que revient le mérite de mettre fin à l’astrologie, par le raisonnement. Dans sa Cométographie ou Traité des comètes,Pingré, un astronome du XVIIIe siècle, écrit : « Mais le plus grand service que Gassendi a rendu à l’Astronomie-cométaire, a été de la dégager des vaines superstitions, des ridicules visions de l’Astrologie & de la Cométomantie. L’erreur étoit ancienne, invétérée, générale. Gassendi la terrassa par des raisonnemens bien simples : si nous n’étions affligés de la famine, si la mort ne nous enlevoit nos Princes qu’après l’apparition de quelque Comète, on pourroit ajouter foi aux prédictions des Astrologues ; mais soit qu’il paroisse des Comètes, soit qu’il n’en paroisse pas, les mêmes évènemens se succèdent. Oui, les Comètes sont réellement effrayantes, mais par notre sottise : nous nous forgeons gratuitement des objets de terreur panique ; & non contens de nos maux réels, nous en accumulons d’imaginaires ».

Un courant scientifique issu de la Renaissance
         En Europe, le renouveau de l’astronomie est essentiellement limité au Saint-Empire romain germanique avec, au XVIe siècle, Copernic et Tycho Brahé, et, au début du XVIIe siècle, Képler à Prague, Hévélius à Dantzig et Galilée à Florence. En France, personne, si ce n’est Peiresc et Gassendi en Provence. Personne non plus en Angleterre. L’Europe intellectuelle est très limitée en cette fin de la Renaissance, les universités, imprimeries et centres d’humanisme sont concentrés sur un axe Leyde-Mayence-Florence reliant les Provinces-Unies à la Lombardie et à la Toscane. Cette carte des foyers intellectuels de la Renaissance coïncide d’ailleurs avec celle des grands peintres de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle : l’école italienne avec Véronèse, Tintoret et Caravage, l’école flamande avec Rubens, Van Dyck et Rembrandt. Cela n’a rien d’étonnant. Les peintres, artistes, poètes, astronomes et philosophes sont des érudits qui échangent leurs connaissances et leurs découvertes à travers toute l’Europe. Léonard de Vinci est un inventeur bien connu. Rubens est un érudit et un fin diplomate. Il vient à deux reprises en Provence rencontrer Peiresc, son ami et fidèle correspondant, pour expertiser des œuvres d’art qui se trouvent à Saint-Maximin et à Fréjus. Rubens vient aussi visiter la bibliothèque et le cabinet de curiositez et d’etrangetez de Peiresc à Aix. Plus tard, Rubens s’en inspirera quand il construira sa demeure, un palais de rêve, riche de trésors. Fidèle en amitié, Peiresc s’entoure de deux autoportraits de son ami Rubens : l’un, sur toile, œuvre de Rubens lui-même – cet autoportrait a été retrouvé en 1985 par David Jaffé dans les greniers de l’Australian National Gallery à Camberra – l’autre, sur bois, peint par Van Dyck, son élève.
La Provence, restée jusqu’au XVIe siècle dans la mouvance du Saint-Empire romain germanique, est plus réceptive au nouveau courant scientifique issu de la Renaissance et à la riche érudition italienne de l’époque des Médicis. Peiresc, savant et érudit universel, est l’initiateur de cette Renaissance. Il partage sa passion de l’astronomie et des découvertes avec son ami Gassendi, plus jeune de douze ans. Autour d’eux se regroupent de dévoués amis de la Science, Joseph Gaultier de la Valette qui, dès 1610, observe les satellites de Jupiter, Godefroy Vendelin qui vient en Provence mesurer l’obliquité de l’écliptique, Jean Lombard qui se rend à Malte pour déterminer les longitudes, ainsi que de nombreux pères capucins et dominicains que Peiresc envoie sur les rives de la Méditerranée pour observer des éclipses de Lune en vue de déterminer les longitudes.

Peiresc,  » le prince des curieux « 

         Réplique à deux voix,  » Peiresc  » et ses  » nouveaux disciples  » du Centre européen pour la culture et l’humanisme artistique et scientifique situé au village de Peyresq en Provence :
Il étudiait le ciel, et ils ont leur observatoire;
Il regardait de tous ses sens, la nature, et ils passent des heures, des jours, des nuits parfois à vivre la faune et la flore.
Il avait son riche jardin de Belgentier, et ils ont leur petit carré de terre où se rassemblent plantes et fleurs de l’endroit.
Il disséquait, analysait et ils ont leur laboratoire d’écologie.
Il chérissait les choses de l’art et les artistes. Et ils ont leurs festivals de théâtre, leurs ateliers créatifs de céramique, de poterie, de tissage.
Il était l’ami de Rubens et de Malherbe, ils accueillent peintres et poètes. Et leur musique parfois brise le silence de la vallée.

in Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, 1980,
Mady Smets-Hennekinne

         Nicolas-Claude Fabri, seigneur de Peiresc, est originaire d’une vieille famille descendant de croisés, compagnons de saint Louis. Au cours de la septième croisade, Hugues Fabri, son ancêtre, s’était illustré à la prise de Damiette. Au retour, en 1254, Louis IX lui confie les rivages de Provence. En 1270, Charles Ier, comte de Provence et roi de Sicile, le nomme bailli d’Hyères, seigneur des terres de Peiresc, Callas et Valavez. Nicolas Fabri naît en 1580 au château de Belgentier, près d’Hyères. Il prend assez vite le nom d’une de ses terres, « Peyresq », village de haute Provence aujourd’hui restauré et animé par la Fondation Européenne pour la culture et l’humanisme artistique et scientifique.
Sa mère, Marguerite de Bompar, née à Marseille, est d’une très grande beauté, «  si belle que la reine Catherine de Médicis, de passage à Aix, la distingua parmi toutes les dames de qualité et n’embrassa qu’elle seule « . Elle meurt bientôt. Peiresc, dès l’âge de deux ans, est élevé par son oncle et par son père. Il fait de brillantes études au collège des jésuites d’Avignon, très renommé en Europe. À l’âge de quinze ans, il vient compléter ses études de philosophie et de théologie à Aix.Il voyage et communique avec l’Europe savante
         A 19 ans, déjà auréolé d’un prestige scientifique, Peiresc entreprend, de 1599 à 1603, le voyage d’Italie, pérégrination académique et chrétienne. À Florence, il rencontre Pinelli, son modèle et maître spirituel, qui lui ouvre sa bibliothèque d’érudit, le présente à Galilée et le recommande à tous les savants renommés de Toscane, de Rome et de Venise. À Rome, Peiresc est reçu par le cardinal Bellarmin, général des jésuites, passionné d’astronomie et grand maître des conclaves. Il rencontre Vendelin, astronome flamand qui viendra s’installer à Forcalquier, et le cardinal Barberini, futur pape Urbain VIII qui condamnera Galilée. Le 5 octobre 1600, Peiresc assiste à Florence à un événement exceptionnel, le mariage, par procuration, du roi Henri IV et de Marie de Médicis. Peiresc est, paraît-il, ébloui par la beauté de la jeune reine de France, ce jour-là en tout cas, il est charmé par l’Euridice de Péri, première tentative d’opéra et événement musical du siècle dont il se fera un fervent propagandiste. Au banquet, il fait la connaissance du jeune peintre Rubens, de trois ans son aîné ; une vaste correspondance témoignera de cette amitié de toute une vie.
De retour à Aix en Provence, en 1604, Peiresc soutient trois thèses de droit selon l’usage et, nouveau docteur, il est élevé à la dignité et à la charge de conseiller au parlement de Provence. À ce titre, Peiresc se rend en 1606 en Angleterre. Il est reçu par le roi Jacques Ier. Il fait la connaissance du botaniste Lobel, dont le nom sera donné au lobelia, du médecin Harvey, qui découvrit la circulation du sang, et de William Camden, l’érudit des langues anciennes qui lui apprend qu’« Arles se disait en langue celtique d’une cité établie en lieu marécageux, Toulon d’une cithare, peut-être à cause d’un promontoire voisin nommé Citharista » aujourd’hui Ceyreste. À son retour, Peiresc rencontre en Hollande l’humaniste Scaliger et le botaniste Charles de Lécluse qui souhaite connaître les plantes de Provence, et notamment l’astragale de Marseille. Nommé conseiller de Guillaume du Vair, garde des sceaux, Peiresc explore en érudit les bibliothèques et les musées de Paris.
Peiresc partage ses activités entre ses diverses propriétés et d’autres lieux qu’il aime. Au château de Belgentier, il crée un magnifique jardin et une tour-observatoire. A Aix, à l’hôtel de Callas hérité de son père seigneur de Callas, il constitue une bibliothèque de 5 000 ouvrages et une belle collection de médailles antiques. A Marseille, il transforme la Floride, bastide de son ami Guillaume du Vair, en bureau des longitudes ; il donne aux marins en partance pour le Levant des cartes de navigation et des conseils de route, en échange il leur demande de lui rapporter des livres anciens et des trésors de l’Antiquité qu’il achète à un bon prix. Peiresc sait goûter la fraîcheur du vallon des Aygalades, il donne des représentations et organise des ballets de cour qui font l’admiration et les délices de son ami Malherbe, le poète d’Henri IV et de Louis XIII.Un fin diplomate
         Par ses fonctions au parlement de Provence, Peiresc supervise les diverses colonies, comptoirs et missions, ces Échelles du Levant implantées en Méditerranée, particulièrement en Tunisie, en Syrie et en Égypte. Astronome passionné, Peiresc envoie là-bas d’habiles observateurs du ciel. Archéologue et bibliophile, il organise un véritable réseau de chercheurs l’informant de toutes les curiosités et découvertes : monuments, objets d’art, livres anciens. Peiresc réalise ainsi autour d’Aix et de la Provence un pôle essentiel du patrimoine et de la culture française. Déjà, on l’a vu, Peiresc avait pu informer Henri IV du complot qui se tramait contre lui. Lors de l’assassinat du roi, les Provençaux manifestent leur loyalisme mais cela n’exclut pas la défense vigoureuse des « libertés du païs ». Comme le rappelle l’historien Raymond Lebègue, Peiresc ne manque pas de souligner le caractère frondeur des Aixois, « les manans de ceste ville qui donne leur advis de toute chose « cette ville où fleurissent périodiquement » pasquins séditieux et placards impudents ». L’historien Monseigneur Saxer souligne que lors du conflit provoqué par le partage des reliques de Marie Madeleine, Peiresc arbitre avec talent entre l’émotion compréhensible des Provençaux et des dominicains de l’abbaye de Saint-Maximin attachés à leurs reliques, et le souhait de Marie de Médicis et du pape Urbain VIII d’obtenir une part de celles-ci. Dans cette affaire, Peiresc obtient même des lettres patentes de Louis XIII. Mais la Provence est surtout menacée de l’extérieur par les galères génoises, par les  » razzia turquesques  » sur les îles d’Hyères, par les huguenots du Languedoc et du Dauphiné. Peiresc fait organiser une défense active sur mer avec galères et corsaires locaux. Sur la fin de sa vie, la dernière joie de Peiresc fut d’apprendre la « reprise des îles de Lérins sur les Espagnols chassés de noz isles ». Peiresc sauve l’identité provençale : ses monuments, son archéologie, ses objets d’art, ses plantes et même sa langue en écrivant une grammaire de langue d’oc, une Histoire Abrégée de Provence et une chronique de la vie provençale au début du XVIIe siècle.
Comme historien, Peiresc montre que Jules César n’est pas parti de Calais pour envahir l’Angleterre mais de Saint-Omer. Il établit la première généalogie des comtes de Provence et raconte leur odyssée. Il intervient avec vigueur pour dénoncer une imposture, une généalogie truquée par les princes de Habsbourg de la maison d’Autriche qui prétendent descendre de Pharamond, roi des Francs, dans l’espoir de faire basculer le royaume de France dans l’héritage de Charles Quint. Peiresc s’appuie sur des documents conservés au monastère de Mürren (Suisse) pour prouver que la lignée de cette dynastie est féminine et n’a pas de droit à la couronne en vertu de la loi salique des Francs.Peiresc dépossédé des marbres d’Arundel
       
Les « marbres d’Arundel » sont des plaques gravées qui contiennent la chronique de Paros relatant l’histoire de la Grèce depuis la fondation d’Athènes jusqu’à l’an 354 environ. Découverts à Paros les marbres furent acquis par le comte d’Arundel qui les ramena en Angleterre. Gassendi nous raconte comment cette affaire échappa à Peiresc qui le premier avait eu connaissance de cette merveille. Voici l’extrait de Peiresc le « Prince des Curieux » au temps du baroque magnifique livre écrit en latin par Gassendi et traduit par Roger Lassale et Agnès Bresson :
« Vers le même temps Peiresc reçut un livre d’or du savant Selden, sur les marbres d’Arundel, rocs avec inscriptions grecques que le très illustre comte Arundel avait fait transporter d’Asie en Angleterre, dans ses jardins. Il est équitable de rappeler que ces marbres ont été d’abord repérés et dégagés par les soins de Peiresc, au prix de cinquante couronnes d’or, et par l’intermédiaire d’un certain Samson qui s’occupait de ses affaires à Smyrne. Mais, alors qu’ils allaient être transportés, Samson fut, je ne sais par quel tour des vendeurs, jeté en prison, et les marbres eux-mêmes à cette occasion détournés. Mais il faut ajouter que Peiresc fut grandement réjoui d’apprendre que ces reliques prestigieuses de l’Antiquité étaient tombées entre les mains d’un si grand personnage, et d’autant plus qu’il sut que son vieil ami Selden les avait heureusement commentées. Peiresc qui tenait l’intérêt public comme son unique but, estima qu’il importait peu que ce fût à sa gloire ou à celle d’un autre, pourvu que vînt en pleine lumière quelque chose qui s’inscrivait au profit de la République des Lettres. Il jugea qu’un trésor incomparable résidait dans ces témoignages, à propos des réalités spécifiques de la Grèce : ils illustrent et rendent familiers non seulement la période historique mais encore la période légendaire, ils décrivent tous les événements mémorables de huit cents ans avant à cinq cent cinquante ans après le début des Olympiades « .

Surf en char à voile sur une plage de Hollande
En 1606, en Hollande, Peiresc rencontre Scaliger, grand humaniste français qui s’était converti au protestantisme après la Saint-Barthélemy. Peiresc interprète pour lui quelques unes de ses pièces de monnaie – notammment des sicles – lui parle de son traité de la Quadrature du cercle et discute de la généalogie des princes de Vérone. Il rend ensuite visite au botaniste Charles de l’Ecluse qui  s’occupait de l’impression de son Appendice sur les plantes exotiques, et ce jour-là, justement, de l’image d’un champignon coralloïde que Peiresc lui avait envoyé de Provence.
Après être demeuré un temps à La Haye, Peiresc fit un détour par Scheveningue, « pour observer la mécanique et la vitesse d’un char inventé quelques années auparavant avec une telle astuce que, voiles déployées, il volait sur le rivage à la manière d’un vaisseau. Il avait en effet entendu dire qu’après la victoire de Nieuport le comte Maurice était monté sur l’un d’eux, en même temps que François Mendoza fait prisonnier au combat. Dans les deux heures il atteignit la ville de Putte, alors qu’entre elle et Scheveningue s’interposent quatorze milliaires horaires. Il voulut, lui aussi, faire l’expérience, et il se plaisait à rappeler la stupeur dont il avait été saisi, quand, ayant été emporté sous un vent très rapide- il ne le percevait pourtant pas car le char était aussi rapide que le vent – il se rendit compte de ce que les trous sur son passage étaient survolés ; que les eaux stagnantes, ça et là, étaient seulement frôlées superficiellement ; que, les coureurs qui le précédaient, on les voyait commme s’efforcer vers l’arrière ; que ce qui apparaissait comme très distant était dépassé presque à l’instant ».

Un jardin exotique
A Belgentier, au nord d’Hyères, dans une vallée dont le microclimat est aujourd’hui apprécié par les pépiniéristes, Peiresc crée un magnifique jardin d’agrément et jardin d’essais, représenté dans un tableau conservé au musée Arbaud d’Aix. Paysagiste et jardinier lui-même, Peiresc fait venir des espèces rares du Levant et les acclimate. Botaniste, il les décrit, les inventorie et les dessine. Peiresc réalise plus de 500 greffes et tente même des essais téméraires comme la greffe du jasmin sur le myrte, « le myrte sur la vigne apiane, vulgairement dite muscade, afin de voir quel était le vin anciennement appelé vin de myrte ».
Dans sa Vita Peireskii, Gassendi nous apprend que Peiresc avait comme ami un botaniste expert dans la connaissance des plantes de toute époque.  » A cause de celà Peiresc ne destina pas seulement les plantes à son jardin, mais envoya des racines de beaucoup d’autres à Charles de L’Écluse (un très grand botaniste français qui professait alors à Leyde), entre autres de traganthes, d’aristoloches, d’asphodèles, et des deux arbousiers. Il signifia en même temps son désir de vouloir retenir de L’Écluse quelque peu à Belgentier, pour lui montrer un styrax, arbuste semblable au cognassier pour les feuilles, pour les fleurs à l’oranger ; pour le parfum de son suc, nullement inférieur au styrax syrien. Le styrax naît à mille pas de la ville, et on le cherchait vainement ailleurs. Pour lui montrer aussi un lentisque, qui a cette qualité de suer du mastic, tout autant que celui dont on dit qu’il naît spécialement dans l’île de Chio « . Peiresc montre en effet que le pistachier lentisque que l’on trouve à l’état sauvage produit une gomme résine, comme le pistachier de l’île de Chio, en Grèce on en tire le mastic qu’on mâche pour parfumer l’haleine comme dans les harems d’Arabie. Peiresc cultive aussi le styrax (aliboufier) dont on tire le benjoin, baume d’odeur vanillée, précieux pour les voies respiratoires.
Dans sa propriété, Peiresc acclimate de nombreuses plantes qu’il réclame à ses correspondants en Orient. Peiresc cultive à Belgentier « le Jasmin d’Inde, arborescent et toujours verdoyant, à fleur safranée, et d’un parfum très suave » et le propage ensuite dans les jardins royaux et dans ceux de Barberini ce jasmin ramené à l’origine de Chine ; en échange le cardinal envoie à Belgentier la Rose de Chine « dont la beauté compense une surprenante absence d’odeur ». Il transmet également au premier intendant des jardins royaux » le Gingembre, apporté d’Inde, qui a été répertorié comme prospérant « .
Peiresc fait aussi ramener de Mécha, « un Lifa, ou courge de Mécha, dont on peut dire qu’elle est une plante à soie, parce qu’elle gonfle en filaments propres à un travail textile analogue au travail de la soie » ; il en reçoit des graines pour semis, une courge entière à l’intérieur filamenteux et une toile fabriquée à partir de cette plante. Il veut aussi faire germer et voir si pousse sous notre ciel, « la Noix d’Inde qu’on appelle noix de Coco « , mais,  » soit inclémence de l’air, soit qu’elles n’eussent pas été assez soignées, elles ne grandirent pas selon ses vœux « , mais aussi  » du Myrte à larges feuilles et à fleurs amples, du Styrax, du Lentisque d’où on tire le mastic, du grand Jasmin à fleur rouge (Amérique), à fleur violacée (Perse) ou à fleur large (Arabie), des Anémones (la violette, l’incarnate et la colombine), de l’Oranger à fleur rouge, du Lotus jaune du Nil, du Néflier et du Cerisier amer sans pépin « .
Peiresc examine un figuier d’Adam, un bananier, et catalogue son fruit comme appartenant à l’espèce des régimes que des explorateurs ont rapportés de la Terre de Chanaan.
Au cours de ses voyages en Provence, comme à Saint-Cyr la Cadière, Peiresc identifie aussi des espèces rares aux noms pittoresques : arbousier, fenouil, bouffe galine, pételin, mourrenieu, alibouffier, bonnet de capellan, etc.

L’alzaron, un cerf à tête de taureau
         Par ses correspondants, Peiresc se fait livrer des animaux exotiques qu’il élève et étudie. Il dessine leur anatomie et se livre à des expériences. Peiresc étudie le flamand rose (phœnicopterus du delta du Nil), le chat d’Angora et les crocodiles. Dans Peiresc le « Prince des Curieux » au temps du Baroque, livre enchanteur, Gassendi nous rapporte maintes anecdotes étonnantes :
« D’Afrique Peiresc reçut certains animaux. Le plus grand et le plus beau de ceux-ci, du nom d’alzaron, rappelait un taureau par le haut de la tête et la queue, pour le reste un cerf. Cornes noires dressées, et promises, selon ce qu’on disait à une hauteur extraordinaire ». Peiresc abrite dans sa demeure cet alzaron, gazelle étrange venue de Nubie, animal très doux aujourd’hui disparu.

Un éléphant à huit dents
         Apprenant qu’un éléphant avait été amené à Toulon, Peiresc le fait venir à Belgentier, le pèse (4 500 livres de Provence) et démontre la flexibilité de ses pattes. « Il lui fait préparer des douceurs parce qu’elles lui étaient très agréables : désormais l’éléphant le connaissait et le comblait de flatteries. Peiresc gagne donc sa confiance, et, après que le cornac l’eut précédé dans son geste, il glisse le bras dans sa gueule et lui explore les dents. Il en décèle deux de part et d’autre sur chaque machoire, si bien qu’il en existait évidemment huit et pas seulement quatre, commme l’avait voulu Pline. Peiresc ne se borne pas à tâter les dents, mais avec l’aide du cornac il lui applique de la cire afin d’en tirer empreinte de leur taille et de leur forme ». Yves Coppens, le découvreur de Lucie, professeur au collège de France, qui avait commencé sa carrière en disséquant un éléphant du jardin zoologique et qui étudie aujourd’hui le mammouth fossile trouvé en Sibérie, nous précise que sur chaque demi-machoire de l’éléphant se succèdent plusieurs dents au cours de la vie : une nouvelle dent commence à apparaître avant l’éviction complète de la précédente et ainsi deux dents incomplètes peuvent cohabiter simultanément sur chaque demi-machoire ; suivant l’époque on a donc quatre dents ou huit demi-dents.

Des caméléons qui ne passent pas l’hiver
         Les caméléons font aussi son grand bonheur. Peiresc montre que leur changement de couleur n’est pas due à leur timidité, comme on le croyait, mais à la lumière et à la couleur de leur environnement. Il observe que les yeux du caméléon travaillent alternativement, sans conjonction binoculaire. L’un se perd dans le vague tandis que l’autre scrute les alentours. Il montre aussi que le caméléon ne se nourrit pas d’air comme on le croyait, mais de petits vers qu’il attrape rapidement avec sa langue : « Ils se servent normalement de leur langue, longue de presque un pied, comme d’une trompe qu’ils projettent à la façon d’un javelot et avec une si grande vitesse qu’elle échappe presque à l’acuité du regard. Cela se produit par l’office d’un petit os qui, muni d’une sorte de fourche, est implanté au fin fond de la gorge à droite et à gauche ; rond par ailleurs, il épouse la largeur de la bouche, sert à enrouler et dérouler la langue, qui est creuse commme un boyau : mais vers le haut, il y a une chair quelque peu gluante qui leur sert à se saisir d’une proie. »
Malgré ses grands soins et en l’absence d’une nourriture appropriée, Peiresc ne parvient pas à maintenir en vie les caméléons pendant l’hiver. Il ne peut observer la phase d’éclosion de leurs œufs.
Peiresc s’intéresse à l’origine de la luminosité des lucioles et à celle d’un poisson découvert à Toulon, qu’il identifie aussitôt au tænia de Pline. Peiresc observe au microscope « qu’une bien petite araignée y paraissait grosse comme celles de mer, et avait les jambes barbelues comme les maritimes » et « une tête de mouche dont les yeux semblaient recouverts d’une toile d’or en forme de gaze ou des rets à prendre poisson » précise André Bailly dans Défricheurs d’inconnu.

La bibliothèque et la correspondance d’un érudit
         De cet ample travail d’érudition effectué par Peiresc, il reste environ cent manuscrits de quatre cents pages : 86 volumes à la bibliothèque de Carpentras, 14 à Aix, autant à la Bibliothèque nationale. La correspondance de Peiresc, plus de 10 000 lettres, s’établit avec tous les grands noms de son temps, Galilée, Gassendi, Képler, Hévélius, Mersenne, Snellius, Pinelli, Rubens, Naudé et avec les cours de Rome, de France d’Angleterre, de Flandres et de Guyenne. Cette correspondance journalière, tâche harassante, puisqu’il lui arrive d’écrire jusqu’à quarante lettres par jour, donne à Peiresc une influence considérable et le renseigne sur l’ensemble des découvertes scientifiques de son temps.
Au XIXe siècle, Tamisey de Larroque sort de l’ombre une première partie, en sept volumes, de cette vaste correspondance. Aujourd’hui encore, les universitaires et érudits des pays européens et de Provence étudient l’œuvre de Peiresc. En 1980, l’ASBL Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, Présidente Madame Smets-Hennekinne publie le beau livre Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, écrit par Jacqueline Hellin, préfacé par Maurice Rheims. En 1981 et en 1988, l’académie du Var sous la direction de Jacques Ferrier publie les Fioretti Fabri de Peiresc. En 1987, le Centre national de la recherche scientifique suscite à Carpentras un colloque Peiresc ou la passion de connaître. En 1992, l’ASBL Nicolas Fabri de Peiresc de Mady Smets-Hennekinne organise à Bruxelles, à Paris et au village de Peyresq des journées de rencontre de chercheurs du Cnrs sur L’humanisme triomphant dans la Provence baroque.
L’historien Jean Bernhardt précise que la bibliothèque de Peiresc contenait 5 402 volumes, nombre hors du commun pour l’époque et qui montre bien l’étendue de son érudition et de sa curiosité. Il cite quelques exemples : quatre évangiles écrits en copte et expliqués en arabe qui permettent à Peiresc de les dater, un vocabulaire et une grammaire provençale du temps de Pétrarque, qu’il utilise pour son Histoire Abrégée de Provence, un dictionnaire de langue celte (le Catholicon, ce premier dictionnaire trilingue qui rattache le français à ses racines latines et celtiques), une Bible en hébreu, un dictionnaire de huron (le Québec vient d’être découvert), l’Harmonie universelle de Mersenne, ce grand traité de musicologie du XVIIe siècle qui lui est dédié, un livre d’Aristarque de Samos sur la grandeur du Soleil et de la Lune, des tables astronomiques du XIIIe siècle du rabbin Azubi de Tarascon, des œuvres d’Aristote, d’Averroès, d’Euclide, d’Archimède, de Diophante, de Ptolémée, de Galien, de Strabon. Enfin concernant la vie d’Enoch, ce septième patriarche depuis Adam et père de Mathusalem, le Livre d’Enoch, un mystérieux manuscrit éthiopien, tant recherché par Peiresc et qu’il reçoit à la fin de sa vie, comme le rapporte Jacques Ferrier dans Les Fioretti.

Les chants coptes, arméniens et maronites
         Le musicologue Joseph Scherpereel rappelle le sens musical de Peiresc et l’hommage remarquable que lui rendit Marin Mersenne dans la préface de son Harmonie universelle, le plus important traité de musicologie du XVIIe siècle, œuvre à laquelle il collabora. Peiresc s’intéresse aussi bien à la culture musicale qu’à la musicologie, aux lois mathématiques et physiques de la musique : les chants grecs, coptes, arméniens et maronites qui utilisent la gamme « Diatonique, Armonique ou Cromatique » comme les « Timbous, Timbales, Musettes et Tambourins utilisés par les musiciens Provençaux » ou la notation musicale du chant du rossignol.
Ainsi, en 1633 Peiresc écrit au père Théophile Minuti à Alep pour qu’il prenne contact avec un moine de Saint-Basile nommé Scaffa « qui a quantité d’excellents manuscrits Grecs et spécialement sur le sujet de la musique «  et qu’il obtienne une copie des manuscrits de mathématiques, et « de ceux qui traitent de la musique de Ptolémée ». Peiresc le charge également de contacter  » quelqu’un d’un peu intelligent de notre musique », qui « allast en Hierusalem dans le Saint Sepulchre, où il y a tant de sortes de Chrestiens, ce serait le vray lieu pour faire marquer la différence des chants des Grecs aux Cophtes, Arméniens, Maronites, Abyssins et autres. Il pourrait mettre en notes de notre musique l’air du chant différent de tous ces peuples et en transcrire à part les notes de chacun selon leur usage pour les comparer aux nôtres et des unes aux autres ».

Peiresc et son ami Rubens
         Peiresc convainc aussi Marie de Médicis de faire appel à Rubens pour réaliser une grande œuvre à la gloire des Médicis, une série de 21 tableaux de 4 m´3 m. Anne Reinbold qui a analysé les relations de Peiresc avec les peintres de son temps, nous apprend qu’il débat avec son ami Rubens de l’habillement des personnages, de leur mise en scène historique et de l’éclairage des tableaux ; il traite même du prix des tableaux et des droits d’auteur. Comme nous le précise Jean Mauclère, auteur d’un Rubens, Peiresc établit lui-même les éléments du Débarquement de la Reine au port de Marseille, mais, très prude, il laisse son ami Rubens découvrir dans les rues de Paris les trois sœurs Capaïo, « à la chair lumineuse et à la superbe chevelure noire » qui accepteront de servir de modèle aux trois nymphes qui  » folâtrent dans les flots au devant de la galère « . Enfin, œuvre plus sereine, le Portrait de vieux savant que Rubens réalise à la fin de sa vie n’aurait-il pas été directement inspiré par Peiresc lui-même !

Peiresc, une pièce échappée au naufrage de l’Antiquité
         Peiresc est un érudit universel, le dernier, après Pic de la Mirandole, ce prince florentin du XVe siècle. Comme lui, il est empreint d’une grande tolérance, signe des grands esprits de la Renaissance. « De son visage émanait une grande noblesse, propre à son génie, avec un je ne sais quoi de spirituel qu’il n’est pas facile de pouvoir rendre en peinture », affirme son ami Rubens. Peiresc est un homme exquis, « son affabilité lui épargne bien des déboires que subiront Galilée, d’un orgueil méprisant, et Descartes, d’une intransigeance hautaine » précise le mathématicien Pierre Humbert, l’un de ses biographes.
Peiresc, juriste et diplomate par sa charge de parlementaire, est un humaniste et un historien avide de connaître toutes les richesses de l’Antiquité. Passionné des sciences et des arts du passé, il est archéologue, collectionneur, bibliophile, numismate, égyptologue, historien, généalogiste, linguiste, musicologue, expert en art et en poésie. Soucieux de comprendre la nature végétale et animale, il devient botaniste, paysagiste et jardinier. Il étudie aussi l’anatomie, la zoologie, l’ichtyologie et l’entomologie. Tous les phénomènes et curiosités de la terre et du ciel l’intéressent, il étudie la météorologie, l’optique atmosphérique, les marées, le magnétisme terrestre, la géologie, la stratigraphie et la cristallographie, il est fasciné par les phénomènes célestes, par le ballet incessant des satellites de Jupiter. Avec perspicacité, Gassendi, son élève et ami, le nomme « le prince des curieux«  et Guez de Balzac, également son contemporain, le qualifie de « relique du siècle d’or, une pièce échappée au naufrage de l’Antiquité « .

Le sarcophage découvert à Brignoles et le mystérieux trépied de Fréjus
Peiresc est un pionnier de l’archéologie scientifique, nous précise Marc Gérard dans les Fioretti Fabri de Peiresc. Il relève les mesures sur le site, effectue des moulages et des dessins, contrôle l’authenticité et l’environnement. Il utilise ses vastes connaissances de l’Antiquité et des langues orientales pour déchiffrer les inscriptions sur les monuments et sur les monnaies. Peiresc dégage et sauve un sarcophage découvert à Brignoles. Avec Rubens, il compare les motifs gravés sur le relief de marbre avec ceux des bas-reliefs observés à Rome ; il s’agit du meurtre de  Clytemnestre et de son amant Égisthe par Oreste, en présence de Pylade.
Un trépied découvert à Fréjus, probablement un vase sacré destiné à la prêtresse d’Apollon, l’intrigue et excite son érudition : l’instabilité structurelle de la vasque a-t-elle une fonction rituelle? Le triangle curviligne et le carré inscrits dans un cercle ont-ils une signification mathématique?

Le camée de la Sainte-Chapelle
         Peiresc est invité à Paris par son ami du Vair, garde des sceaux de Louis XIII et prédécesseur du cardinal de Richelieu, pour examiner le camée de la Sainte-Chapelle, célèbre joyau en agate orientale et sardoine d’Arabie. Dans cette Apothéose de Germanicus Peiresc reconnaît avec certitude Germanicus, Agrippine, Caligula et Tibère. Il estime que le personnage porté vers les airs ne représente pas Jupiter escorté d’Enée mais Auguste élevé au ciel par la déesse Rome. Près de Marcellus, l’amateur de chevaux, Peiresc pense reconnaitre Drusus fils de Tibère, la main tendue vers Jupiter, demandant l’empire à son père et, assise près de lui, Livilla son épouse.

L’épitaphe de Borysthène, cheval de l’empereur Hadrien
         Sur une table de marbre découverte sur le territoire d’Apt, Peiresc déchiffre l’épitaphe gravée en caractères fort élégants : « Borysthenes alanus / Caesareus veredus / Per aequor et paludes(…)«  et montre qu’il s’agit du tombeau que l’empereur Hadrien, premier défenseur des chevaux et des chiens, avait fait élever pour son cheval Borysthène. Dans Lettres de Fabri de Peiresc à Claude Saumaise et à son entourage, Agnès Bresson, chercheur au Cnrs, nous rapporte le récit de cette découverte : « Ce marbre fust desterré en un lieu nommé Las Torretas sur le grand chemin d’icy à la ville d’Apt, à une lieue par delà la dite ville, qui n’estait pas le chemin le plus frayé des armées romaines. C’est pourquoi, j’estime qu’aux voyages de l’empereur Hadrien aux Gaules, soit au venir de Rome ou au retour, il affecta vraisemblablement le destour de ce chemin pour aller à la chasse dans les bois de Sault, qui lors se trouvaient encore plus près d’Apt qu’ils ne sont à ceste heure. Et parceque ce cheval lui servait principalement à la chasse, il se peut présumer qu’il y mourut, si tant est qu’il soit mort sur le lieu où le marbre a été desterré ; car ce n’est pas le grand chemin aurelian qui traversait ceste province et allait de Rome aboutir à Arles ».
         Sur des coupes grecques découvertes à Vallauris, Peiresc montre que le nombre de lettres de l’inscription indique la contenance de la coupe : la naevia a une contenance de 6 cyathes, la justina de 7 cyathes etc.

Le tombeau de Lazare, évêque d’Aix
         Comme le raconte l’helléniste Jean Guyon dans Lazare aux Trois Visages, Peiresc découvre sur une pierre tombale des catacombes de l’abbaye de Saint-Victor de Marseille l’épitaphe de Lazare, évêque d’Aix du IVe siècle : « HIC IACET BONE MM PP LAZAR QUE VIXIT IN TIMOR DIP P.M. AN LXX… « . Il déchiffre ainsi cette inscription « Hic iacet bone m(e)m(oriae) p(a)p(a) Lazar(us) que vixit in timor(e) D(e)i p(lus) m(inus) an(nos) LXX … « , ce qui signifie : « ci-gît de bonne mémoire l’évêque Lazare qui vécut dans la crainte de Dieu environ soixante-dix ans… « . Cette pierre tombale a disparu, sans doute sous la Révolution. Il ne reste aujourd’hui, précieusement conservé à la Bibliothèque nationale, que le relevé de cette inscription soigneusement recueillie et sauvegardée par Peiresc, le 4 septembre 1626.

La galerie de curiositez et d’étrangetez de Peiresc
        La galerie de « curiositez, étrangetez et raretez » constituée par Peiresc regroupe 18 000 pièces de monnaies, camées, intailles, bronzes, vases, pierres rares, céramiques, marbres et fragments d’inscription. Le numismate Philippe Thiollier cite des monnaies d’or mérovingiennes, grecques, romaines, puniques, byzantines, un demi-shekel d’Israël et un sou d’or de Clotaire. Peiresc constitue lui-même cette collection auprès des grands numismates de son temps et grâce à un réseau de rabatteurs d’antiquités qui opèrent dans les Échelles du Levant. Très généreux, il sait en faire don. Ses amis soumettent à son jugement beaucoup de pièces rares, nous assure Gassendi.

Phénix ou cigogne
         À propos d’une monnaie d’Hadrien, sur laquelle les numismates croyaient voir un phénix, Peiresc, troublé par les proportions des pattes et du cou de l’animal, affirme qu’il ne s’agit pas d’un aigle mais d’une cigogne. Il étaye cette affirmation par la présence d’un serpent entre les pattes de l’oiseau. On sait en effet que les cigognes mangent des serpents. Dès lors, Peiresc saisit le sens profond de l’inscription Patri – au Père – gravée au revers de la pièce : pour rendre honneur à son père, l’empereur Hadrien avait choisi la cigogne, symbole de la piété filiale car seul animal qui nourrit ses parents impotents.

Peiresc démaillote une momie
         Les antiquités pharaoniques comme les hiéroglyphes intéressent beaucoup Peiresc, L’égyptologue Sydney Aufrère souligne qu’il fit venir un trousseau funéraire égyptien complet avec un sarcophage d’époque saïte en pierre, un sarcophage de bois peint, un étui momiforme, deux mommyes, des vases canopes, une stèle en fritte émaillée, des amulettes, des statuettes, des talismans et des pierres précieuses. Avec la complicité de marins anglais peu superstitieux et sachant braver les malédictions alors prédites à ceux qui profanent les sépultures, Peiresc se fait rapporter du Levant une momie qu’il démaillote. Il montre que les Égyptiens ne plaçaient pas une pièce de cuivre dans la bouche des morts. Cette tradition fut introduite plus tard dans les rites funéraires grecs, étrusques et romains. La pièce de cuivre représentait l’obole destinée à Charon, le passeur des Enfers, qui dans sa barque faisait traverser le Styx aux âmes des morts avant leur entrée au royaume d’Hadès.

Un psautier pentaglotte vers les hiéroglyphes
         Le père capucin Agathange de Vendôme envoya à Peiresc un psautier pentaglotte qu’il avait acheté en 1635 au monastère de Saint-Macaire. Ce psautier en cinq langues, éthiopien, syriaque, copte, arabe et arménien fait l’enchantement de Peiresc qui connaissait les langues hébraïque, samaritaine, syriaque, arabe et copte. Peiresc, qui avait reçu de Borachias Nephi du Vieux-Caire une version des Hieroglyphica d’Horapollon, a l’intuition que le déchiffrement de l’égyptien ancien passe par la connaissance de la langue copte, et là, Peiresc est un pionnier. Cette découverte sera hélas niée par le père Kircher, le grand spécialiste de l’époque.
Il faudra attendre le XIXe siècle avec Étienne Quatremère, Thomas Young et surtout Jean-François Champollion pour que les hiéroglyphes soient déchiffrés. Grâce à la pierre de Rosette, Champollion montrera au XIXe siècle que les hiéroglyphes égyptiens sont phonétiques (la lettre A est représentée par un Agneau, etc.) alors que les hiéroglyphes chinois – comme nos chiffres – sont des idéogrammes.

Archéologie et hydrologie
         Peiresc pense aussi que « les fossiles ne sont pas des fantaisies de la nature » mais des témoins de l’histoire. Il montre que l’habitacle, le moule fossile, s’est constitué autour de vraies coquilles anciennement vivantes ; des dépôts se sont agglutinés et ont ensuite durci.
Peiresc identifie la source de pétrole découverte à Gabian, près de Béziers. Il étudie le conflit du mistral et du sirocco dans l’Esterel. Peiresc est persuadé que l’eau des sources ne vient pas du centre de la terre ni de la mer comme on le croyait depuis Aristote, mais des pluies. L’hydrologie des eaux de surface est récente, elle date de la Renaissance avec Léonard de Vinci puis Bernard Palissy. Peiresc montre l’importance de l’infiltration due à la fonte des neiges et le rôle de l’argile « propre à contenir l’eau ». Il explique le fonctionnement de la Fontaine de Vaucluse. Il montre aussi que l’eau de source de l’île des Embiez, voisine du cap Sicié, possède des vertus diurétiques.

Peiresc et l’optique de l’œil
         Dans son livre, Un amateur Peiresc, l’historien des sciences Pierre Humbert a extrait de la correspondance de Peiresc le récit de ses belles expériences sur les phénomènes optique et sur le mécanisme de la vision. Peiresc, expérimentateur habile et curieux de tout, sait former des images à l’aide de miroirs concaves et convexes et de lentilles constituées d’une « fiole d’eau ». Il pratique lui-même de nombreuses vivisections et découvre dans l’œil la présence d’humeurs vitreuses cristallines. Il dissèque des yeux de poisson, de chat-huant, d’aigle et même de baleine qu’il se fait livrer de l’Atlantique avec maintes précautions : « Pour rendre (écrit-il) les pescheurs plus soigneux d’accourir diligemment à ceste pesche, et d’y conserver les yeulx de la balene en la blessant, et puis les arracher aussy tost que faire se pourra, l’on n’espargneroit pas une bonne douzaine d’escus et davantage, voire jusques à une vingtaine, si c’estoit pour avoir quelque gros oeuil, bien fraiz, et sans que devez perdre de temps ».
         Au cours de ces expériences, Peiresc observe « que la chandelle allumée se peint sur la rétine et se représente à la renverse comme dans un miroir concave ». Mais Peiresc ne va pas plus loin, on ne peut imaginer à cette époque que c’est le cerveau qui redresse cette image et permet de voir le haut en haut. Dans le cas de l’aigle, dont la vue perçante est bien connue, Peiresc remarque que son anatomie révèle « des particularitez auxquelles nous ne nous serions pas attendus », par exemple que la grosseur de l’œil est, chez l’aigle, « prodigieuse à proportion de toute la teste, car il estoit plus gros que l’œil d’un mouton et quasi plus que l’œil d’un homme, bien que la teste ne fusse pas plus grosse qu’une poire médiocre, toute la cervelle n’occupant pas plus d’espace qu’un seul œil ».
         Peiresc s’intéresse à la vision des couleurs et à la persistance des images sur la rétine. Le premier, il fait cette expérience qu’il appelle « du diable vert » : si l’œil fixe longtemps la silhouette d’un diablotin découpée dans du carton de couleur verte, puis que l’on dirige rapidement l’œil vers une surface blanche comme le plafond, on voit apparaître la silhouette en rouge, couleur complémentaire. Ces phénomènes de « rétention dans l’œil des images colorées » ont fort stimulé la curiosité de Peiresc.

La mort de Peiresc
         Peiresc meurt en juin 1637. Tuberculeux de longue date et atteint de troubles de la vessie, Peiresc a pris froid une nuit et son état empire depuis plusieurs jours. Il a comme dernière joie, nous rappelle l’historiographe Pierre Dubois, de recevoir le Livre d’Enoch tant attendu, « afin que ce livre qui a été inconnu jusqu’à cette heure et que j’ai eu avec tant de peine et dépense ne vienne à se perdre et le public en demeure frustré ». La veille de sa mort, il apprend que les îles de Lérins viennent d’être reprises aux Espagnols. Dans l’après-midi du mardi 21 juin, Peiresc a un moment de rémission. Il fait appeler Gassendi auprès de lui et lui demande « s’il a observé la hauteur du soleil au gnomon et si les nombres trouvés en ce jour de solstice sont satisfaisants ». Il tient à comparer le résultat à la valeur qu’avait obtenue Pythéas vingt siècles auparavant, puis il entre en agonie et meurt le soir même.
Son éloge funèbre est prononcé à Rome en quarante langues. Peiresc est enterré dans la cathédrale d’Aix-en-Provence, dans la chapelle de Saint-Mitre. Plus tard, une partie du monument érigé en son honneur sera transféré dans le chœur de l’église de la Madeleine. Il y reste aujourd’hui une plaque commémorative. Après sa mort, son ami Gassendi consacre plusieurs années à raconter sa vie en un livre merveilleux Vita Peireskii.
         La Vita Peireskii écrite en 1641 a été traduite pour la première fois en français par Roger Lassalle et Agnès Bresson en 1992, et édité par Belin. Fascinés par le personnage de Peiresc et par l’œuvre littéraire élaboré par Gassendi à la mémoire de son ami, ils ont su passionner le lecteur pour ces deux personnages ; nous venons de vous présenter ici quelques extraits de ce livre fascinant.

Gassendi : des collines de Provence au Collège de France

Gassendi commença à observer le ciel en 1618, et ne discontinua pas d’en suivre les principaux phénomènes jusqu’à sa dernière maladie. Il était en correspondance avec tous les astronomes, et presque avec tous les savans de son temps, qui l’estimoient, et le regardoient avec raison comme le premier astronome de son siècle. Son ingénuité, sa modestie, l’amabilité de son caractère, éclatent de toutes parts dans ses ouvrages, et surtout dans son commerce épistolaire.

Annales célestes du XVIIe siècle,
Alexandre Pingré

Pierre Gassend, plus connu sous le nom de Gassendi, génitif qui suivait ou précédait l’intitulé de ses ouvrages écrits en latin, est né le 22 janvier 1592 d’une famille paysanne à Champtercier, village voisin de Digne. La légende dit que c’est en gardant pendant la nuit les troupeaux de ses parents qu’il commence à se passionner pour les beautés du ciel. Gassendi reste, toute sa vie, modeste et désintéressé. D’une intelligence claire et pétillante, avec une tendance marquée pour l’ironie, Gassendi est plutôt un esprit voltairien qu’un esprit ecclésiastique.
Gassendi, enfant prodige, fait ses études à Digne puis à Aix. A l’âge de seize ans, il obtient au concours - à la dispute comme on disait alors – une chaire de rhétorique au collège de Digne. L’année suivante, Gassendi quitte sa chaire de Digne pour suivre les cours de théologie à Aix ; il étudie l’Ecriture sainte, la langue grecque, l’hébreu et la somme théologique de saint Thomas, le Docteur Angélique. A 22 ans Gassendi est nommé chanoine théologal de Digne, poste envié de dignitaire qui lui assure aussi une prébende confortable. Il est ordonné prêtre l’année suivante à Aix. Dans cette vieille ville universitaire de haute réputation, les deux chaires de philosophie et de théologie sont alors vacantes, il les emporte toutes les deux au concours. Les cours professés par le jeune Gassendi obtiennent le plus grand succès et lui valent l’intérêt et l’amitié de Nicolas Claude Fabri de Peiresc et de Joseph Gaultier, prieur de la Valette, tous deux connus pour leurs travaux de mathématiques et d’astronomie.
Sans résidence permanente, hors sa prévôté de Digne, Gassendi s’installe à Aix dans la demeure de Fabri de Peiresc véritable bibliothèque et observatoire, et à Paris, il accepte l’hospitalité de ses amis, François Luillier, maître des Comptes, celle des érudits Saumaise, Guez de Balzac, Bernier et Chapelain, mais aussi celle du père minime Mersenne et du généreux Hubert de Montmor qui réunissait les savants dans ses salons, première Académie des Sciences. Gassendi est l’ami et le correspondant des astronomes et savants  de son temps Hobbes, Galilée, Képler à Prague, Peiresc à Aix, Riccioli à Bologne, Schikard à Tubingen, Wendelin à Bruxelles, Hortensius à Leyde, Hévélius à Dantzick, Bouillaud à Loudun et Picard à Paris. Dans sa thèse de doctorat ès lettres, Louis Andrieux rappelle que Gassendi était connu des Rois et des Princes éclairés de son temps : Louis XIII, Louis XIV, Anne d’Autriche, Frédéric II de Danemark, Christine de Suède, de Louis de Valois, des princes de Condé et de Conty, de la duchesse d’Angoulême, du maréchal d’Estrées, du duc de Richelieu et de son frère cardinal d’Aix puis de Lyon, de Mazarin, et du cardinal Barberini à Rome.
Gassendi se rend célèbre en astronomie en réussissant, le premier, à observer le passage de la planète Mercure devant le Soleil, « observation très difficile et la plus belle de ce siècle ». C’est en rade de Marseille que Gassendi effectue la première vérification expérimentale de la loi de la chute des corps prévue par Galilée. Son œuvre est immense. Sa philosophie du monde s’appuie sur une physique moderne fondée sur l’existence des atomes et du vide. Toute sa vie, Gassendi observe le ciel avec persévérance tenant des registres d’observation exemplaires. Avec Peiresc, il est à l’origine de cette magnifique lignée d’observateurs français qui ont si puissamment contribué à affermir les fondements de l’astronomie.
Après plusieurs années de séjour à Aix et à Digne, Gassendi vient à Paris où il se fait une grande réputation. En 1645 le cardinal de Richelieu lui demande d’accepter la Chaire de Professeur d’astronomie au Collège Royal, aujourd’hui Collège de France. L’astronome Delambre nous précise que  » Gassendi n’avait accepté la chaire d’astronomie qu’à condition d’interrompre ses leçons quand sa mauvaise santé l’y forcerait. Ses maux de poitrine l’ayant forcé en effet à les suspendre assez longtemps, le cardinal avait fait pour lui ce qu’il ne voulut faire pour aucun autre, et l’avait dispensé de la résidence, et qu’il en avait profité pour aller respirer l’air natal « . Il y enseigne jusqu’en 1655, année de sa mort.

Pour Gassendi, il n’y a ni feu au centre de la Terre… ni Enfer
         Dans son livre Le noyau de la Terre, le géophysicien Jean-Paul Périer nous raconte le mérite de Gassendi qui chassa là encore les idées fausses. Qu’il s’agisse du séjour des morts chez les Grecs ou les Latins, ou du séjour des damnés comme l’Enfer des chrétiens et de Dante, les différentes civilisations situaient l’Enfer au centre de la Terre, dans les régions inférieures (inferi, lieux bas). Jusqu’à la Renaissance, les théologiens affirment que le feu de l’Enfer est réel. Ils assimilent le feu central de la Terre au feu de bois que nous connaissons, avec des flammes. Les arguments contre cette thèse restent de nature théologique et Jérémie Swiden objecte qu’il n’y aura jamais assez de place au centre de la Terre pour contenir la foule innombrable des damnés, idée pourtant combattue par saint Thomas d’Aquin.
Avec des arguments scientifiques, Gassendi porte les premiers coups à cette mythologie : « Le Sens et la Raison nous montrent bien assez qu’il y a de la chaleur dans la Terre, mais qu’il y ait aussi des flammes actuelles et effectives (…) c’est ce que le Sens ne nous fait point voir et que la Raison mesme ne nous permet pas de croire. Car il n’est possible que la flamme soit engendrée et dure longtemps si l’Air n’est libre (…). C’est pourquoy cette liberté ne se trouvant pas dans les concavitez souterraines, je ne voy pas comment la flamme puisse y être engendrée ou subsister ». Mais les idées fausses sont souvent tenaces. Un siècle plus tard, en 1763, un père dominicain, Patuzzi, explique encore :  » il n’est pas besoin que l’air pénètre dans les profondeurs pour entretenir le feu central, le souffle de Dieu y suffit, comme l’avait bien vu le prophète Isaïe « .
         Heureusement, en 1756, l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert vient rendre hommage à la démarche scientifique de Gassendi : « Quelques physiciens avaient placé au centre de la Terre un feu perpétuel, nommé central, à cause de sa situation prétendue. M. Gassendi a chassé ce feu du poste qu’on lui avait assigné, en faisant voir qu’on l’avait placé sans raison dans un lieu où l’air et l’aliment lui manquaient ».

Gassendi démontre le principe d’inertie sur une galère à Marseille
         Depuis Aristote, on expliquait que « si on lâche un boulet du haut du mât d’un navire en mouvement, durant la chute du boulet le bateau se déplace et le boulet tombe en arrière du mât ». Ce raisonnement apparemment logique est incomplet ; il oublie un deuxième phénomène, l’inertie. Durant sa chute verticale le boulet conserve aussi sa lancée initiale, c’est-à-dire un déplacement horizontal qui accompagne la vitesse du navire ; en conséquence le boulet tombe au pied du mât. Ce problème, difficile à comprendre, préoccupe beaucoup les savants de cette époque qui se livrent à de longs débats et à de curieuses expériences. Galilée, le premier, a l’audace de nier cette fausse logique, il affirme que le boulet tombe toujours au pied du mât du navire mais il ne cherche pas à vérifier expérimentalement son affirmation.
En 1641, sur une galère en rade de Marseille, Gassendi effectue l’expérience en présence de son ami et protecteur Louis-Emmanuel de Valois, comte d’Alais, duc d’Amgoulème, gouverneur de Provence, petit-fils de Charles IX par l’un de ses fils bâtard qui avait épousé Marie Touchet. La démonstration a un grand retentissement populaire et la vérification de ce paradoxe « aristotélicien « attire de nombreux curieux.
Voici la description de l’époque : « M. Gassendi ayant été toujours si curieux de chercher à justifier par les expériences la vérité des spéculations que la philosophie lui propose, et se trouvant à Marseille en l’an 1641 fit voir sur une galère qui sortit exprèz en mer par l’ordre de ce prince, plus illustre par l’amour et la connaissance qu’il a des bonnes choses que par la grandeur de sa naissance, qu’une pierre laschée du plus haut du mast, tandis que la galère vogue avec toute la vitesse possible, ne tombe pas ailleurs qu’elle ne feroit si la même galère étoit arrêtée et immobile ; si bien que soit qu’elle aille ou qu’elle n’aille pas, la pierre tombe tousiours le long du mast à son pié et de mesme costé. Cette expérience foite en présence de Monseigneur le Comte d’Allais et d’un grand nombre de personnes qui y assitoirent, semble tenir quelque chose du paradoxe à beaucoup qui ne l’avoient point vue ; ce qui fut cause que M. Gassendi composa un traité De motu impresso a motore translato que nous vismes de lui la mesme année en forme de lettre escrite à M. du Puy ».
         Gassendi se livre encore à d’autre expériences, étudiant par exemple la trajectoire d’un objet lancé verticalement ou horizontalement par un cavalier au galop ou sur une barque halée par un cable.
Avec sa clarté habituelle, Gassendi expose dans son traité sur le mouvement des corps tous les raisonnements de Galilée et les étaye par ses expériences. Gassendi est le premier à expliquer que la pierre décrit bien une parabole par rapport à des axes liés à la Terre, mais que la composante horizontale de ce mouvement parabolique n’est pas observable sur un navire. La vitesse horizontale du boulet (vitesse égale à celle du navire et due à l’inertie) se conjugue avec la vitesse verticale de la chute (vitesse accélérée) pour donner une trajectoire parabolique dans l’espace.
Une expérience encore plus pédagogique est ensuite réalisée à Venise, la ville aux nombreux ponts et gondoles. Le mât du navire est adapté à la hauteur d’un pont spécialement choisi. Deux boulets vont être lachés simultanément, l’un par un premier matelot perché en haut du mât, l’autre par un second matelot accroché au parapet du pont, pratiquement à la même hauteur. Le premier boulet qui possède l’inertie du bateau tombe au pied du mât, le second qui est au repos tombe en arrière du mât.

Gassendi montre que les sons graves et aigus se propagent à la même vitesse
         Depuis Aristote, on pensait que les sons graves se propageaient plus lentement que les sons aigus. Gassendi veut le vérifier. Sa première expérience est décisive, il fait tirer simultanément un coup de canon (son grave) et un coup de fusil (son aigu), et, placé à une grande distance, il perçoit les deux sons en même temps. Ayant ainsi conclut, à juste titre, que les sons graves et les sons aigus se propagent à la même vitesse, Gassendi explique que la différence de sensation sonore entre les aigus et les graves est due à une différence relative du nombre de vibrations, non à leur vitesse de propagation.
Gassendi souhaite alors mesurer cette vitesse de propagation du son, ce qui est difficile à une époque où il n’y a pas de chronomètre. Gassendi évalue le temps qui se déroule entre l’éclair sortant de la bouche de l’arme à feu, de celui où lui parvient le son de la détonation ; de cette expérience Gassendi conclut que le son se propage dans l’air à la vitesse de 1 473 pieds par seconde, soit 440 m/s (la valeur exacte est 340 m/s). Mersenne, dans son Harmonie Universelle, reprendra la même méthode et obtiendra un meilleur résultat, 412 m/s. Aujourd’hui selon une méthode inverse, et connaissant la vitesse de propagation du son (340 m/s), on peut calculer la distance à laquelle se produit un orage, par le décalage entre la lumière de l’éclair qui se propage quasi-instantanément et le son du tonnerre qui parvient à retardement.

La nature à horreur du vide,
         Depuis l’Antiquité on avait remarqué que l’on ne pouvait plus plus aspirer l’eau d’un puits avec une pompe si le puits avait plus d’une dizaine de mètres de profondeur. Constatant ce phénomène, sans le comprendre, on conclut que la nature avait horreur du vide. L’explication scientifique est loin d’être simple et il fallut tout le génie de Blaise Pascal pour y parvenir et pour convaincre. Galilée, Torricelli, Roberval, Gassendi, Descartes  participèrent à ce débat scientifique, le plus grand du XVIIe siècle.
Il fallait d’abord comprendre, ce qui n’est pas intuitif, que l’air de l’atmosphère est différent de « l’éther », ce vide presque parfait qui règne au-delà de l’atmosphère et qu’on appelle aujourd’hui le « vide interplanétaire » et le « vide sidéral ». Il fallait ensuite le génie de Pascal pour comprendre que l’air lui-même puisse peser, ce qui est encore moins intuitif. On peut comprendre spontanément qu’un corps solide pèse, de même pour un liquide, pour une liqueur comme on disait alors. Mais démontrer que l’air, impalpable et insaisissable, puisse peser, cela nécessitait des preuves irréfutables, ce que Pascal apporta avec son « Expérience de l’équilibre des liqueurs ».

Pascal et l’équilibre des liqueurs
         Le 15 novembre 1647, Pascal explique à son beau-frère Florin Périer les causes réelles qui limitent la hauteur d’aspiration des pompes dans les puits, la prétendue « horreur du vide ». Dans une langue admirable, la langue de Port-Royal, celle de Racine, Pascal exprime toute sa pensée scientifique. Il explique sa récente expérience « du vide dans le vide » prouvant l’action de la pression atmosphérique et il décrit à Florin Perrier l’expérience qu’il doit entreprendre au pied et au sommet du puy de Dôme, avec un tube rempli de « vif-argent » que l’on nomme aujourd’hui le mercure.
« Vous savez quel sentiment les philosophes ont eu sur ce sujet ; tous ont tenu pour maxime que la nature abhore le vide. Je travaille maintenant à chercher des expériences qui fassent voir si les effets que l’on attribue à l’horreur du vide doivent être véritablement attribués à cette horreur du vide, ou s’ils doivent l’être à la pesanteur et pression de l’air ; car, pour vous ouvrir franchement ma pensée, j’ai peine à croire que la nature, qui n’est point animée, ni sensible, soit susceptible d’horreur, puisque les passions présupposent une âme capable de les ressentir ; et j’incline bien plus à imputer tous ces effets à la pesanteur et à la pression de l’air, parceque je ne les comsidère que comme des cas particuliers d’une proposition universelle de l’équilibre des liqueurs ».

Pascal et l’expérience « du vide dans le vide »
         Pascal rappelle alors à Florin Perrier l’expérience « du vide dans le vide » qu’il fit devant lui – avec deux baromètres – en incluant le plus petit d’entre eux dans le circuit « vide » du plus grand. « L’expérience que je fis ces jours passés, en votre présence, avec deux tuyaux l’un dans l’autre, montre apparemmment le vide dans le vide. Vous vîtes que le vif-argent du tuyau intérieur demeura suspendu à la hauteur où il se tient par l’expérience ordinaire, quand il est contre-balancé et pressé par la hauteur de la masse entière de l’air ; et qu’au contraire il tomba entièrement sans qu’il lui restât aucune hauteur ni suspension, lorsque, par le moyen du vide dont il fut environné, il ne fut plus du tout pressé ni contre-balancé d’aucun air, en ayant été destitué de tous côtés. Vous vîtes ensuite que cette hauteur du vif-argent augmentait ou diminuait à mesure que la pression de l’air augmentait ou diminuait, et qu’enfin toutes ces diverses hauteurs de suspension du vif-argent se trouvaient toujours proportionnées à la pression de l’air. Certainement, après cette expérience, il y avait lieu de se persuader que ce n’est pas l’horreur du vide, comme nous estimons, qui cause la suspension du vif-argent dans l’expérience ordinaire, mais bien la pression de l’air qui contre-balance la pesanteur du vif-argent ».

L’expérience de Perrier et Pascal au puy de Dôme
         Maintes fois décrite l’expérience exécutée par Florin Perrier selon les directives très précises de Pascal va devenir la méthode type de l’expérimentation scientifique, rappelons juste un passage. Au pied du puy de Dôme, au couvent des Minimes de Clermont, Perrier remplit de mercure un premier tube-témoin et le retourne sur la cuve de mercure ; il note la hauteur où s’établit l’équilibre du mercure et il charge le père Chastin d’en surveiller le niveau durant toute la journée. Il effectue la même expérience avec un deuxième tube, constate que l’équilibre s’établit au même niveau, et commence l’ascension du puy de Dôme avec ce deuxième tube. Avec l’autre tuyau et une partie de ce même vif-argent, je fus, avec tous ces messieurs au haut du puy de Dôme, élevé au-dessus du couvent des Minimes environ de 500 toises (975 mètres), où il se trouva qu’il ne resta plus dans ce tuyau que la hauteur de 23 pouces 2 lignes de vif-argent, au lieu qu’il s’en était touvé aux Minimes, dans ce même tuyau, la hauteur de 26 pouces 3 lignes 1/2 , et qu’ainsi entre les hauteurs du vif-argent de ces deux expériences il y eut 3 pouces 1 ligne1/2 de différence, ce qui nous ravit tous d’admiration et d’étonnement, et nous surprit de telle sorte que, pour notre satisfaction propre, nous voulûmes la répéter encore cinq autres fois très exactement en divers endroits du sommet de la montagne. En descendant de la montagne Perrier refait à plusieurs reprises l’expérience et observe que le niveau du mercure remonte progressivement vers la valeur qu’il avait au départ, au couvent des Minimes : 26 pouces 3 lignes 1/2. Le lendemain l’expérience est refaite entre le parvis et le sommet des tours de la cathédrale de Clermont, « pour éprouver s’il arriverait de la différence. J’y trouvai le vif-argent à la hauteur d’environ 26 pouces une ligne, qui est moindre que celle qui s’était trouvée au pied de la tour d’environ deux lignes et demie ».
Pascal lui-même effectue l’expérience, il trouve plus de deux lignes de différence (5mm) entre le haut et le bas de la tour Saint-Jacques-de-la-Boucherie, haute de 24 à 25 toises (48 m), et ensuite « dans une maison particulière, haute de quatre-vingt-dix marches, où je trouvai sensiblement demi-ligne de différence ».

Gassendi sur le mont Caume près de Toulon
         Dès lors, chacun veut vérifier l’expérience et se forger sa propre conviction ; c’est le début de la science expérimentale. Désormais c’est l’expérience qui apporte la preuve et non la renommée, le prestige ou le discours de tel ou tel savant. Aujourd’hui encore, le « vu à la Télé » reste un argument publicitaire, non une preuve scientifique, une preuve de Vérité.
Gassendi participe à ce débat, il croît au vide contrairement à Descartes. La méthode expérimentale de Pascal lui plaît. Avec Bernier, Gassendi décide de refaire sur le Mont-Caume, près de Toulon, la belle expérience de Pascal-Perrier au puy de Dôme. Gassendi  se trouve aussi charmé et convaincu par l’expérience de la vessie de carpe à moitié gonflée : « elle s’emfle petit à petit au cours de l’ascension et elle se dégonfle régulièrement au cours de la descente ».
Dans les Correspondances du Père Marin Mersenne, Paul Tannery et les historiens du Cnrs ont merveilleusement décrit ces années d’effervescence scientifique où tous les grands savants européens du XVIIe siècle rivalisent d’imagination et d’audace pour résoudre cette énigme. Ces Ephémérides du Vide rapportent ces objections et de nouvelles expériences qui montrent que des souris et des mouches, isolées par une vanne dans la partie  » vide « du tube à mercure, meurent rapidement en l’absence d’air.
L’expérience de Pascal au puy de Dôme eut une suite heureuse. En 1708, un astronome de Provence, le père Feuillée, la renouvella dans la Cordillère des Andes. A chaque étape de son ascension il dut monter beaucoup plus en altitude pour faire descendre à chaque fois le niveau du mercure d’une même graduation ; il venait de démontrer que l’atmosphère s’élève plus haut en zone équatoriale qu’à notre latitude et expliquer pourquoi les Indiens des hauts plateaux peuvent vivre à 4 000 mètres d’altitude plus aisément que nous dans les Alpes.

La preuve pour les derniers incrédules
         Aus incrédules, Pascal répond par de nouvelles expériences, avec un talent extraordinaire comme dans les Provinciales, ses fameuses lettres clandestines sur la Grâce, contre les théologiens jésuites et la cour royale elle-même.
Certains niaient encore l’existence du vide dans le haut du tube. L’un des adversaires, niant le vide, affirmait que c’étaient des vapeurs de mercure qui venaient occuper la partie haute du tube. Pascal lance un défi et annonce qu’il va remplacer le mercure par de l’eau dans un premier tube et par de l’alcool dans un second tube. Il convie à l’expérience son adversaire, Pierrus, qui affirme que  » le vin étant plus volatil que l’eau, émettra moins de vapeurs, donc montera dans son tube moins haut que l’eau « . L’expérience est spectaculaire. Pascal remplit d’eau et de vin l’un et l’autre tube de cristal, il retourne ces deux tubes d’une douzaine de mètres de hauteur sur leurs cuves, sans les casser, prouesse qui épate le public. L’eau monte à 31 pieds(10,07 m) et le vin à 31 pieds 8 pouces (10,28 m). L’alcool, de plus faible densité, est monté plus haut. Pierrus bat en retraite, c’est bien le vide dans le haut des deux tubes et non des vapeurs.

Gassendi, Cyrano de Bergerac, … les planètes extrasolaires et l’infinité de l’Univers
         La comédie héroïque Cyrano de Bergerac écrite en 1897 par Edmond Rostand a rendu populaire ce personnage au nez  » grand comme une péninsule « , mais le véritable Savinien de Cyrano de Bergerac (1619-1655) a réellement existé. Ce savant, sceptique et libertin, suit en 1641 l’enseignement de Gassendi. Il adopte ses idées philosophiques sur l’atomisme et sur l’Univers. On peut attribuer à Gassendi les conceptions développées par Cyrano sur l’étendue infinie de l’Univers et sur les planètes extra-solaires, thème d’actualité depuis la découverte en octobre 1995 des premières planètes hors de notre système solaire, autour d’autres étoiles que le Soleil.
Cyrano est le premier à considérer chaque étoile comme un Soleil. Il pense que chacune d’entre elles est entourée de planètes comme le Soleil. Voici le dialogue imaginé par Cyrano de Bergerac dans L’Autre Monde ou Les États et Empires de la Lune souvent appelé Voyage dans la Lune et dont les premières versions circulent de son vivant, dès 1650, c’est-à-dire plusieurs dizaines d’années avant le Cosmotheôros de Huygens et avant la Pluralité des mondes de Fontenelle.
          » – Monsieur, lui répondis-je, la plupart des hommes, qui ne jugent que par les sens, se sont laissé persuader à leurs yeux ; et de même que celui dont le vaisseau navigue terre à terre croit demeurer immobile, et que le rivage chemine, ainsi les hommes tournant avec la terre autour du ciel, ont cru que c’était le ciel lui-même qui tournait autour d’eux. Ajoutez à cela l’orgueil insupportable des humains, qui leur persuade que la nature n’a été faite que pour eux ; comme s’il était vraisemblable que le soleil, un grand corps, quatre cent trente-quatre fois plus vaste que la terre, n’eût été allumé que pour mûrir ses nèfles, et pommer ses choux. Quant à moi, bien loin de consentir à l’insolence de ces brutaux, je crois que les planètes sont des mondes autour du soleil, et que les étoiles fixes sont aussi des soleils qui ont des planètes autour d’eux, c’est-à-dire des mondes que nous ne voyons pas d’ici à cause de leur petitesse, et parce que leur lumière empruntée ne saurait venir jusqu’à nous. (…)
         – Mais, me dit-il, si comme vous assurez, les étoiles fixes sont autant de soleils, on pourrait conclure de là que le monde serait infini, puisqu’il est vraisemblable que les peuples de ces mondes qui sont autour d’une étoile fixe que vous prenez pour un soleil découvrent encore au-dessus d’eux d’autres étoiles fixes que nous ne saurions apercevoir d’ici, et qu’il en va éternellement de cette sorte.
– N’en doutez point, lui répliquai-je
 (…)« .

Gassendi partisan des atomes et du vide s’oppose à Descartes
         Très jeune, Gassendi est séduit par la cosmogonie de Démocrite (460-370) qui imagine un monde comprenant un nombre infini d’atomes tous semblables, en mouvement permanent dans un espace infini et vide, et qui aboutit à la naissance et à la mort d’un nombre infini de mondes. Gassendi peut vérifier, comme Galilée et Peiresc avant lui, que la Voie lactée, vue à la lunette, présente des étoiles distinctes là où l’on n’avait jamais aperçu auparavant que des lueurs confuses, d’aspect laiteux. C’est cette belle intuition qu’avait eu Démocrite à la vue de la Voie lactée : « Si la Voie lactée brille d’un vif éclat, disait-il, c’est que les étoiles y sont pressées, vu leur prodigieuse distance, pour qu’on puisse les discerner une à une ; c’est que les images de tant d’astres fortement condensés se confondent « .
Cette cosmogonie de Démocrite avait été abandonnée depuis Épicure (341-270) mais Gassendi la trouvait plus conforme à la raison que celle d’Aristote. Dans son Histoire des mathématiques écrite au XVIIIe siècle, Montucla précise : « Tout le monde sçait que Gassendi travailla à relever de ses cendres la Philosophie Epicurienne, non cette Philosophie impie qui attribue au hazard l’origine de l’Univers & de tous les êtres, mais cette Philosophie qui admet les atômes, le vuide,& dont plusieurs dogmes paraissent assez conformes à ceux de la Physique moderne. « Gassendi a en effet «  l’esprit trop juste pour goûter toutes les extravagances dont les disciples d’Aristote avaient surchargé la philosophie ; il démontra la vanité, le ridicule de presque toutes les idées péripatéticiennes » ajoute l’astronome Pingré dans les Annales Célestes du XVIIe siècle. Ce texte de Gassendi soulève la colère des partisans d’Aristote, et devant la virulence de ces attaques, Gassendi renonce à publier son ouvrage. Les interventions de Peiresc en sa faveur calment les esprits. Gassendi évite désormais toute critique directe contre la doctrine d’Aristote, mais l’opposition que Descartes manifeste alors à son égard laisse des traces profondes.
Les historiens et philosophes Alexandre Koyré et Bernard Rochot ont souligné tous ces points qui opposent Gassendi à Descartes. Gassendi a le sens de l’expérience directe et des diversités humaines alors que Descartes croit à la méditation solitaire. Gassendi s’appuie sur une érudition historique, Descartes ignore le passé. Gassendi fait toujours preuve d’un scepticisme curieux alors que Descartes a des certitudes sur tout. Gassendi s’appuie sur des faits d’observation, Descartes a une vision mécaniste de l’Univers. Gassendi croit aux atomes et au vide, Descartes n’y croit pas. Pour Descartes l’animal, le chien par exemple, n’est qu’un ensemble de mécanismes osseux, musculaires ou digestifs tandis que pour Gassendi, un chien exprime son affection et marque sa fidélité, un animal a une  » petite âme « , mais pas aussi grande que celle des hommes ajoute-t-il.
En ce XXIe siècle, on voit que l’approche scientifique de Gassendi est particulièrement moderne. La réputation de Descartes longtemps surestimée en France est due à Malebranche qui sut extraire le meilleur de son œuvre et a contribué à répandre le raisonnement cartésien. Les mots hasard ! nécessité ! probabilité ! chaos ! incertitude ! vie ! mort ! ont aujourd’hui pénétré le langage scientifique. Le dogmatisme scientifique, l’approche mécaniste et la vision scientiste des XIXe et XXe siècles ont vécu.

L’observation d’éclipses et la vie itinérante d’un astronome passionné
         Gassendi commença à observer le ciel en 1618 lors de l’apparition d’une grande comète « à la tête crépue », et sans discontinuer il en suivit tous les principaux événements jusqu’à sa dernière maladie. Malgré sa mauvaise santé il réussit à observer un nombre impressionnant d’éclipses, 8 éclipses de Soleil et 21 éclipses de Lune.
C’est à Aix que Gassendi fait ses premiers essais d’astronomie en observant une comète mais aussi en établissant en 1620 des Tables de la position de Jupiter par rapport aux fixes, aux étoiles. A Aix toujours, lors de l’éclipse de Soleil du 20 mai 1621, Gassendi mesure des arcs égaux de 77° 30′ de part et d’autre dans l’ombre et en conclut que les diamètres de la Lune et du Soleil sont alors égaux. Le 14 avril 1623 il observe à Digne l’éclipse de Lune, mais surtout s’attache, cette année-là, à suivre les positions de la planète Mars par rapport aux étoiles. Le 9 février 1625, Gassendi qui se promenait sur le Pont-Neuf à Paris, observe une occultation de Vénus qui rase la corne australe de la Lune ; pour connaître l’heure de l’événement il se réfère à l’horloge de la Samaritaine et, peu après, par une hauteur de Sirius, il s’assure que cette horloge n’est pas mal réglée. En 1628 il observe à Aix l’éclipse de Lune du 20 janvier. C’est à Paris, le 10 juin 1630, qu’il observe l’éclipse de Soleil presque totale – 11 doigts 32′ – il eut plus de chance que son ami Hévélius qui était en mer, en partance de Dantzick.
Le 6 novembre 1631, c’est à Paris que Gassendi effectue sa magnifique observation du Passage de Mercure devant le Soleil mais deux jours plus tard le temps est couvert lors d’une éclipse de Lune. Le 31 juillet 1632, à Paris, « l’aurore, déjà claire, ayant fait disparaître toutes les fixes, quatre heures sonnées aux horloges », Gassendi observe une conjonction de Vénus et de Mercure, distantes de centre à centre de cinq fois le diamètre apparent de Vénus ; il calcule que la conjonction s’est produite à 3h 10m du matin, résultat important puisqu’il permet de réajuster les orbites de ces deux planètes. Le 27 octobre 1632 Gassendi est en visite à Lyon chez le cardinal de Richelieu, le frère du ministre-cardinal Armand de Richelieu, quand se produit une éclipse de Lune, par chance il a avec lui une bonne lunette et peut se procurer un petit quart-de-cercle. Le 8 avril 1633 Gassendi s’installe près de la chapelle de Saint-Lazare à un demi-quart de lieue de Digne pour observer l’éclipse de Soleil mais c’est à Aix, dans la nuit du 27 mai, qu’il détermine l’opposition de Saturne en notant, heure par heure, sa position par rapport aux étoiles a, b et d du Scorpion.
En 1634 Gassendi est à Digne pour l’éclipse de Lune du 14 mars, mais on le retrouve à Aix le 9 avril où il observe Jupiter éloigné par 9 fois son diamètre de l’étoile Propus et le 11 septembre où il observe Mars, à deux fois son diamètre de l’étoile b de la Vierge. En 1635 Gassendi observe la première éclipse de Lune de cette année à Aix, mais pour la grande éclipse des longitudes il préfère s’installer au village de Tanaron perché à deux lieues au nord de Digne. Gassendi aime ce site difficilement accessible mais propice à ses méditations de philosophe et à ses observations d’astronomie. Louis Andrieux, l’un de ses biographes, a retrouvé cet endroit situé sur le plateau à cinq heures de marche au-delà de la maison forestière, près de la chapelle Saint-Michel ; on comprend, dit-il, toute la difficulté qu’avait Gassendi pour y transporter ses instruments d’optique. En ce 27 août, hélas, pluies et orages de montagne se déchainent jusqu’à deux heures du matin, l’éclipse est déjà à mi-parcours ; Peiresc resté à Aix est plus heureux, comme les nombreux observateurs de cette année-là, d’Alep au Grand-Caire. En 1636 Gassendi mesure la hauteur du Soleil au solstice d’été, à Marseille, pour voir si elle avait diminué depuis la mesure effectuée par Pythéas au IVe siècle av. J.-C. ; c’était effectivement le cas, de 1/4 de degré, comme Laplace le calculera plus tard. Au solstice de l’année suivante Gassendi effectue la même mesure à Aix au chevet de Peiresc mourant.
Gassendi observe l’éclipse de Lune de 1638 à Digne et l’éclipse de Soleil de 1639 à Aix. Ses observations sont toujours les plus détaillées mais il tient aussi le registre des observations de ses correspondants et il publie dans son ouvrage l’ensemble des observations dont il a eu connaissance. Cette année-là, au Père Agathange, fort déçu de ne pas avoir vu l’éclipse au Grand-Caire « malgré son attention soutenue et la sérénité constante du ciel », Gassendi écrit qu’il n’y avait là rien de surprenant car l’éclipse ne devait commencer au Grand-Caire qu’après le coucher du Soleil.
Après la mort de Peiresc, on retrouve plus souvent Gassendi à Paris. Il observe l’éclipse de Lune du 18 octobre 1641 à l’abbaye de Saint-Germain ;  » un horizon bien dégagé étant nécessaire, dit-il, car l’éclipse, d’environ 7 doigts, commença à 7h 33m, la hauteur au-dessus de l’horizon mesurée par Boulliau avec un quart de cercle en cuivre était de 22° 18′ seulement. L’année suivante, Gassendi observe l’éclipse du 14 avril 1642 à l’hôtel de Thou, avec le père Fournier auteur d’une célèbre Hydrographie. Lors de l’éclipse suivante de Lune, le 27 septembre 1643, on retrouve Gassendi à 4 lieues de Paris, à Sucy-en-Brie, avec l’abbé de Champigny et le président Molé. En 1645, année où Gassendi inaugure son Cours au Collège Royal il observe l’éclipse de Lune du 10 février avec Agarrat, l’assistant de Peiresc, dans la maison de M. de Champigny, et l’éclipse de Soleil du 21 août avec Jean Picard l’un de ses élèves qui deviendra un astronome célèbre ; cet abbé Picard lui succèdera au collège de France. C’est du haut d’une des tours de Notre-Dame, aidé de Jean Picard et de Claude Luillier, que Gassendi observe l’éclipse de Lune du 30 janvier 1646 ; Gassendi rapporte qu’un temps très sec succédait à un hiver extrêmement froid qui vit la Seine prise d’une glace très-épaisse depuis le jour de Noël jusqu’au 27 janvier. En 1647, lors d’une occultation de Jupiter par la Lune, Gassendi observe Jupiter à moitié occulté par la Lune, « c’était, dit-il, un spectacle fort amusant, de voir Jupiter comme à cheval sur la Lune, et voyageant sur son limbe supérieur ». Le 29 novembre 1648, Gassendi est alors à Tarascon en Provence et c’est avec un quart-de-cercle d’un pied de rayon qu’il observe dans la tour du Collège des Pères de la Doctrine chrétienne ; la plus grande phase de cette éclipse de Lune fut de 9 doigts. Le 18 novembre 1649 on retrouve Gassendi au couvent de Saint-Vincent près de Digne pour une éclipse de Lune qui fut aussi observée au Quebec par le père Bressan et à Panama par le père Ruggi.
Toujours à Digne lors de l’éclipse de Soleil du 8 avril 1652 Gassendi détermine les diamètres apparents du Soleil et de la Lune ; ils sont, mesure-t-il, dans le rapport de 1000 à 1028, tandis qu’à Dantzick, Hévélius mesure un rapport légèrement différent, de 1000 à 1033 ; sur les 27 astronomes ayant observé cette éclipse en Europe seuls Hévélius et Gassendi ont mesuré les diamétres apparents. Les deux éclipses de Lune de 1652 retrouvent Gassendi l’une à Paris, l’autre à la chapelle de Saint-Vincent près de Digne où Gassendi observe aussi la très-grosse comète de cette année-là. C’est à neuf lieues de Paris vers le couchant d’hiver que Gassendi observe l’éclipse de Soleil du 11 août 1654, dans le château de M. de Montmort, au Mesnil-Saint-Denis ;  » l’éclipse fut de 9 doigts sur douze, tandis que, nous dit-il, elle fut totale à Dantzick « , Hévélius lui écrit  » les ténèbres furent épaises, on ne pouvait plus lire, les oiseaux se cachaient, le demi-diamètre du Soleil était de 15′ 41″1/3 , celui de la Lune était de 15′ 53″1/3  »

La mort de Gassendi
Pierre Humbert, professeur à Polytechnique, qui a analysé L’œuvre astronomique de Gassendi, nous rapporte aussi la mort de cette personnalité influente qui subit l’acharnement thérapeutique de son époque. « Gassendi fut soigné par sept médecins, des plus fameux, et une nuée d’apothicaires. Il subit douze saignées, sept purges et vingt-deux lavements après quoi il s’éteignit le 24 octobre 1655″.
Gassendi avait été le précepteur de Molière. Ce dernier, témoin des traitements infligés à son ancien maître, ne manqua pas de pourfendre les médecins de cette époque. Gassendi fut enterré dans l’église Saint-Nicolas-des-Champs à Paris nous précise Louis Andrieux dans sa thèse de Doctorat ès lettres consacrée à Pierre Gassendi..

Peiresc et Gassendi découvrent des prodiges dans le Ciel, et des astres nouveaux

Une fraîcheur légère et caressante nous venait de la grande porte ouverte sur l’arc de la nuit. Je levai la tête, et reculai, plus qu’ébloui, transverbéré, car, de la profondeur de ces fraîches ténèbres, très loin, très haut, l’invraisemblable multitudes de disques d’or, cloués sur un ciel sec et sombre, déployait, devant nous, les cercles convergents de leurs myriades de feu, et ces lumières suraiguës, ces flammes qui perforaient et qui déchiraient, étaient bien différentes des pâles feux crépusculaires que j’avais vu suinter de la paix des beaux soirs : leurs épis flamboyants poussaient comme des épées et des piques sur le tremblement de mon coeur. Quelle angoisse! Elles étaient trop, accouraient de trop de côtés.
Mon œil ravi put suivre en paix l’essaim nombreux des globes sublimes, qui s’envolait en bon ordre au-dessus de nous. Peu à peu, devenu familier de leur majesté, je m’appliquai à reconnaître et à nommer quelques-uns de ces ornements de la Nuit dont j’avais aperçu les figures sommaires dans l’atlas de camarades plus avancés : les Ourses, la polaire, le Bouvier sous-tendu comme un cerf-volant, Cassiopée en forme de chaise longue, et cet interminable chemin de Saint-Jacques qui part du ciel et monte en serpentant vers des hauteurs confuses dont j’ambitionnais de connaître quelque jour le terme et le sens. Je regardais, sondais, cherchais. Toute mon âme se perdait d’admiration, de curiosité, d’espérance.

Quatre nuits de Provence
d’un félibre et poète provençal, Charles Maurras

Un curieux arc-en-ciel, qui décrit un cercle complet
Au XVIIe siècle, les phénomènes d’optique atmosphérique, comme les arcs-en-ciel et les halos, sont considérés comme des prodiges. Ils impressionnent fortement les foules. Peiresc et Gassendi les étudient selon une démarche scientifique moderne. L’arc-en-ciel est le premier phénomène d’optique météorologique connu. Dès le XIIIe siècle, Thierry de Freiberg explique que les arcs-en-ciel sont dus à la réfraction de la lumière du Soleil dans des gouttelettes de pluie en suspension dans l’air. L’arc-en-ciel, le plus fréquemment observé, décrit un arc de cercle de 42° de rayon. On l’observe dans la direction opposée au Soleil, dos au Soleil. Le centre de l’arc-en ciel est sous l’horizon : l’arc est bas sur l’horizon si le Soleil est haut, il est plus élevé dans le ciel pour un Soleil bas et peut devenir un demi-cercle si le Soleil est sur l’horizon. L’arc-en-ciel est irisé, le violet est situé à l’intérieur, le rouge à l’extérieur. On observe parfois à l’extérieur un deuxième arc-en-ciel, dos au Soleil également. Son centre est le même, toujours à l’opposé du Soleil, le rayon de ce deuxième arc-en-ciel est 51°, son irisation est inversée avec le violet à l’extérieur et le rouge à l’intérieur. Le 7 février 1601, Peiresc observe à Marseille un troisième arc-en-ciel observé face au Soleil et centré sur le Soleil ; c’est un phénomène rare que l’on ne peut observer que par une pluie peu dense laissant le passage de la lumière solaire. Ce troisième arc-en-ciel forme en réalité un cercle complet de 42° de rayon autour du Soleil ; dans chaque goutte de pluie la lumière y subit successivement une réfraction à l’entrée, trois réflexions totales à l’intérieur et une réfraction à la sortie. Les arcs-en-ciel sont des mécanismes assez complexes car une même goutte de pluie renvoie la lumière du Soleil dans pratiquement toutes les directions. Les rayons lumineux qui tombent au centre de la goutte comme ceux qui arrivent sur la périphérie sont déviés différemment, l’œil ne les perçoit pas. Seuls contribuent à l’arc-en-ciel les rayons lumineux qui sont tombés sur la goutte à 0,85 rayon du centre de la sphère, seuls ces rayons et leurs voisins immédiats sont proches de la déviation minimum et pour eux il y a une accumulation de lumière, ils forment l’arc-en-ciel.

Peiresc observe l’explosion de la supernova du Serpent en 1604
         En 1604, étant descendu pour l’automne à Belgentier, Peiresc observe une conjonction des trois planètes majeures – Mars, Jupiter et Saturne – qui ne se reproduit que tous les 800 ans, et qu’il appelle la Très Grande Conjonction. Peiresc trouve admirable qu’à l’époque de cette conjonction – mais il s’agit d’une coïncidence fortuite – « naisse une étoile qui égalait presque Jupiter en grandeur et qui eut l’originalité de durer plus d’une année sur les traces du Serpent ». Cette étoile nouvelle fut découverte le 10 octobre 1604 par les disciples de Képler.
« Mais, nous dit Gassendi, parce que Peiresc n’avait pas de globe céleste sous la main pour s’assurer de la nomenclature des astres non errants, il crut aisément que cette étoile « nouvelle » était des anciennes, voyant particulièrement qu’elle n’était pas à brillance faible comme les planètes environnantes, mais scintillait admirablement à l’instar des étoiles fixes ». Quelques mois plus tard Peiresc tombe malade et souffre beaucoup en ce début de printemps. Il apprend par une lettre de Pignoria que l’étoile était récente et qu’elle était observée par Galilée. « Enfin rétabli, quand il voulut  observer ces régions célestes, l’étoile était si alors si diminuée qu’il pensa qu’elle s’était évanouie. Plus tard, amer, il ne pouvait se lamenter assez de ne pas avoir été davantage le témoin appliqué d’un spectacle auusi rare survenu à son époque ». Cette supernova du Serpent, est la dernière qui ait été observée dans notre Galaxie. L’explosion d’une supernova se produit statistiquement tous les 300 ans, on attend toujours la prochaine avec l’espoir de ne pas manquer l’occasion.
A cette occasion, Gassendi ne manque pas de faire le rapprochement « avec deux autres phénomènes analogues qui s’étaient produits dans l’espace sidéral de Cassiopée trente-deux ans auparavant et dans la constellation du Cygne, trois ans plus tôt ». On sait aujourd’hui qu’il s’agit d’explosions d’étoiles, de supernovae dans notre Galaxie. La première supernova, celle du Taureau, fut observée en 1054 et décrite par les chroniques chinoises. Celle de Cassiopée a été observée en 1572 par Tycho Brahé et celle du Serpent par Képler, Galilée … et Peiresc en 1604.

Pluies de sang ou traces de chrysalides de papillons
         Dans Peiresc le « Prince des curieux » au temps du baroque, Gassendi nous rapporte que, « de toute cette année 1608, rien n’agréa autant Peiresc que d’avoir analysé et commmenté une pluie de sang dont la rumeur s’était répandue qu’elle était tombée au début de juillet. De larges gouttes en avaient été remarquées aussi bien en ville, aux parvis du cimetière de la grande église qui est près des remparts, qu’aux remparts mêmes de la ville ; et aussi aux parois des fermes, bourgs et places fortes sur quelques milliaires alentour. Tout d’abord il se déplaça pour inspecter ces gouttes dont les pierres étaient rougies, et il fit tout pour pouvoir parler aux paysans dont on rappelaient qu’ils avaient été, près de Lambesc, beaucoup ébranlés par cette chute de pluie, au point d’avoir rapidement fui, toutes tâches cessantes, dans des bâtiments voisins ». Peiresc rejette l’explication des naturalistes de l’époque attribuant le phénomène à des vapeurs de chaleur dégagées dans les airs à partir d’une terre rougie, et encore plus fermement celle de quelques théologiens accusant « des démons ou des stryges (des esprits nocturnes) par qui étaient tués d’innocents petits enfants ».
         Peiresc décèle la vraie cause de ce phénomène car « quelques mois auparavant il avait enfermé dans une pyxide une chrysalide de grandeur et de forme remarquables qu’il avait trouvée. Alors qu’il ne s’en souvenait plus, il entendit un bruit s’élever dans la pyxide, et, celle-ci ouverte, il constata qu’une fois son enveloppe tombée, la chrysalis était, de chenille, devenue très beau papillon, qui aussitôt prit son vol, et laissa au fond une goutte rosâtre de la taille d’un sou banal.«  Les entomologistes pensent qu’il s’agit sans doute de papillons du genre vanesse comme le paon de jour.
Peiresc imagine alors ce qui a pu se produire en ce mois de mai 1608 à Aix, « à la même époque fut observée une multitude incroyable de papillons volant massivement, il estima que des papillons de cette sorte dormant sur les murs avaient répandu là, comme un excrément, des gouttes semblables, et apparemment égales en grandeur. Aussi recommença-t-il l’étude et confirma-t-il que ces gouttes n’existaient pas sur les toits, ni sur les surfaces lisses des pierres commme il aurait dû se produire s’il avait plu du sang du ciel, mais se voyait surtout dans des excavations, dans des trous ou des petits êtres avaient pu pour ainsi se nicher ».

Peiresc découvre la nébuleuse d’Orion en 1610
         La nébuleuse d’Orion est incontestablement la plus remarquable de toutes les nébuleuses gazeuses du ciel. Dans les livres d’astronomie, on attribue sa découverte à Huygens qui en fait le premier dessin en 1659. En réalité, c’est Peiresc qui signale d’abord sa présence dès le 26 novembre 1610. Orion est la première nébuleuse observée dans le ciel. La nébuleuse d’Andromède ne sera découverte par l’astronome Mayer qu’en décembre 1612. Ces nébuleuses, sources diffuses, sont difficiles à voir à l’œil nu. On a parfois dit qu’Andromède, galaxie formée d’étoiles, aurait été observée au Moyen-Âge, mais peut-être l’astronome arabe Al Suphi avait-il observé une supernova qui venait d’exploser dans cette galaxie et non la galaxie d’Andromède elle-même?
Le 26 novembre 1610, Peiresc découvre la nébuleuse d’Orion avec sa  nouvelle lunette. On peut lire dans le manuscrit de Carpentras : « Cœlum non erat serenum adeoque magna apparebat nubecula in Orionis media ut vix distingui potuerint duae stellae. Ac in suprema quoque stella apparuit nubecula.« 

En 1611, Peiresc découvre l’amas de la Crèche
         Le 15 janvier 1611, alors que Jupiter se trouve dans la constellation du Cancer, Peiresc découvre dans cette région du ciel l’amas de la Crèche, aujourd’hui appelé Praesepe ou Messier 44. L’amas des Pléiades, visible à l’œil nu, était déjà connu depuis l’Antiquité. L’amas de la Crèche est le premier amas d’étoiles découvert à l’aide d’une lunette. Peiresc écrit : « (…) in qua plus 15 stellae clarissae dinumerabantur » comme le rapporte Guillaume Bigourdan. En février de la même année, Peiresc distingue aussi la lumière cendrée de Vénus.

Peiresc détermine les périodes des satellites de Jupiter
         On a parfois affirmé que les satellites de Jupiter étaient visibles à l’œil nu. Il faut être prudent : « D’Anjou rapporte que les Iakoutes, peuplade de pêcheurs et de chasseurs de la Sibérie, ont différentes fois remarqué que l’étoile bleue (Jupiter) avalait  (swallow) une autre très-petite étoile, et que bientôt après elle la rendait (send it). Ainsi ces peuplades avaient observé à l’œil nu les immersions et les émersions des satellites de Jupiter. » Arago montra, avec une lunette de grandissement égal à 1, qu’une vue exceptionnelle peut y parvenir : l’œil est effectivement assez sensible pour détecter les satellites de Jupiter de magnitude 5, sa résolution angulaire (1 minute d’arc) permet de les séparer, la dynamique  de l’œil est suffisante pour les voir malgré l’intense illumination de Jupiter. Mais l’existence de ces Lunes, tournant autour de Jupiter, ne fut acceptée qu’après la découverte de Galilée.
En 1610, Pinelli, grand érudit génois, apprend à Peiresc que « Galilée, avec une lunette récemment inventée, avait découvert de grandes choses dans le ciel ». Peiresc fait venir d’Italie, de Hollande et de Paris plusieurs exemplaires de cette lunette. Le 25 novembre de la même année, il observe à son tour les satellites de Jupiter avec son ami Gaultier, astronome et prieur de la Valette. Peiresc est alors frappé par la régularité de ce ballet incessant des satellites. Du 25 novembre 1610 au 21 juin 1612, Peiresc les observe tous les soirs et note méthodiquement leur écartement angulaire en prenant comme unité de mesure le diamètre de Jupiter. Dans ces Tables des satellites de Jupiter, conservées à Carpentras, Peiresc suppose que les orbites sont des circonférences, sans inclinaison sur l’écliptique ; il lui suffit donc de noter à chaque fois la durée de la révolution, le rayon de l’orbite, et le moment du passage devant l’observateur, qu’il nomme l’apogée. Peiresc donne leur période de rotation avec une précision meilleure que celle de Galilée, et très proche des valeurs réelles comme l’a montré l’astronome Guillaume Bigourdan en 1916 :
Io                   1 jour     18 heures 27 minutes 33 secondes          à          1/400   près
Europe           3            13            13               42          à          1/600   près
Ganymède     7              3            42               33          à          1/500   près
Callisto        16            16            32               09          à          1/600   près
Ces satellites ne possédaient pas encore leurs noms actuels. Galilée les avait appelés Médicéens en l’honneur de la grande famille des Médicis. Pour les distinguer, Peiresc donne à chacun de ces quatre satellites le nom spécifique d’un Médicis. Il appelle le deuxième et le plus brillant Maria (Marie de Médicis) tout ébloui qu’il avait été en assistant à Florence au mariage de la jeune reine de France avec le roi Henri. Il appelle le quatrième satellite Catharina (Catherine de Médicis) en souvenir de cette autre reine de France. Mais il hésite sur les autres noms, Ferdinandus et Franciscus qu’il appelle ensuite Cosmus Major et Cosmus minor. Il précise par exemple que la magnitude de Catharina est inférieure à celle de Cosmus Major.
Les périodes harmoniques des trois premiers satellites étonnèrent vite les astronomes : « la durée de la révolution du premier satellite n’est qu’environ la moitié de la révolution du second, et celle-ci n’est elle-même que la moitié de la révolution du troisième ». Laplace démontra plus tard que l’action mutuelle des satellites a suffi pour établir et maintenir ce rapport en toute rigueur en sorte que « le moyen mouvement angulaire du premier satellite plus deux fois celui du troisième est et sera toujours égal à trois fois celui du second », mais aussi un autre résultat non moins singulier « la longitude moyenne du premier satellite, moins trois fois celle du second, plus deux fois celle du troisième, est exactement égale à deux angles droits ». De même que les deux aiguilles d’une montre sont synchronisées, de même les satellites de Jupiter tournent comme une belle horloge avec des périodes harmoniques. Les tables des satellites de Jupiter eurent bien vite une grande perfection.
L’historien des sciences Pierre Costabel nous rappelle que Peiresc et son ami Vendelin astronome flamand installé en Provence ont les premiers vérifié que les satellites de Jupiter obéissaient à la troisième loi de Képler. Ce contrôle est plus facile à effectuer sur les quatre satellites de Jupiter que sur les planètes du système solaire car ces satellites décrivent leurs orbites rapidement et sont visibles simultanément. On peut donc calculer leur période et leur élongation dans une même échelle. Cela fit dire à l’astronome Riccioli que « la sagacité de Peiresc et de Vendelin n’était pas moindre que l’ingéniosité de Képler ».

Les satellites de Jupiter pour la détermination des longitudes
         Devant la grande régularité du ballet des quatre satellites de Jupiter et, sachant que leur configuration change de nuit en nuit et même d’heure en heure, Peiresc a, le premier, l’idée d’utiliser cette belle horloge pour résoudre le vieux problème de la détermination des longitudes. « Il se réjouit d’apprendre que ce n’était pas venu auparavant à l’esprit de Képler et de Galilée ni des Hollandais par qui le mystère des longitudes a été si considérablement exploré ». Alors que les éclipses de Lune et de Soleil sont assez rares, les éclipses des satellites de Jupiter sont plus fréquentes. L’idée est donc séduisante d’utiliser ces satellites pour déterminer les longitudes en mer et permettre une navigation au long cours. L’instant même d’une éclipse donne un signal de synchronisation visible simultanément sur toute la Terre. Comme les tables astronomiques donnent l’heure précise de l’éclipse pour le méridien de Paris, il suffit de mesurer l’heure locale où on l’observe en une terre inconnue. La différence des heures donne la longitude par rapport à un méridien de référence. L’idée de Peiresc était bonne. Les tables des satellites de Jupiter qu’il commence à établir sont suffisamment précises. Mais le maniement en mer de la lunette astronomique (pour déterminer l’instant de l’éclipse) et des cercles gradués (pour obtenir l’heure locale par la mesure de la hauteur des astres sur l’horizon) est trop difficile. Il faudra attendre deux générations, et l’emploi du sextant, pour que la méthode devienne opérationnelle en mer.
Les satellites de Jupiter resteront toutefois une mine pour les astronomes. Dans le même siècle, en 1677, l’astronome danois Römer utilise leurs éclipses pour mesurer pour la première fois la vitesse de la lumière. Le grand opticien Huygens écrit alors à Colbert : « J’ay veu depuis peu avec bien de la joye la belle invention qu’a trouvè le Sr. Romer, pour demonstrer que la lumière en se repandant emploie du temps, et mesme pour mesurer ce temps, qui est une decouverte fort importante (…)« . Römer mesure une vitesse correspondant à 320 000 km/s, très proche de la valeur exacte.
Pour la géographie et la détermination des longitudes à terre, Peiresc et Gassendi utilisent des éclipses de Lune, plus faciles à observer que les éclipses des satellites de Jupiter. Pour améliorer la précision de la méthode en effectuant plusieurs mesures, Peiresc et Gassendi décident d’établir une carte très détaillée de la Lune qui permettra de suivre le déplacement de l’ombre de la Terre sur le paysage lunaire et chronométrer l’instant des éclipses successives des divers cratères lunaires.

Des astres en plein jour
        Le 1er mars 1611, Peiresc vit la planète Mercure en plein jour. Bientôt il observa également Vénus en plein jour. Ce procédé est bien utile pour ces deux planètes du crépuscule, toujours très proches du Soleil et très souvent invisibles de nuit. Mais cette découverte de la visibilité des astres en plein jour a aussi exercé une véritable influence sur les progrès de l’astronomie, car elle incita Jean Picard, le successeur de Gassendi au Collège de France, à créer le mode actuel d’observations méridiennes qui fut utilisé jusqu’au milieu du XXe siècle.
Les philosophes de l’antiquité étaient préoccupés de ce que pouvait devenir le Soleil pendant la nuit et les étoiles pendant le jour. Thalès, Pythagore ou Aristote avaient acquis une haute connaissance de l’astronomie qui leur enlevait ce souci. Mais la première preuve publique fut sans doute celle des marins qui accompagnèrent Pythéas au-delà du cercle arctique jusqu’à Thulé ; là, au solstice d’été, ils virent le Soleil descendre vers l’horizon et se relever aussitôt. Quant aux étoiles, Pline l’Ancien – Pline le Grand comme l’appelle Gassendi – nous apprend que l’on peut en voir en plein jour. Peiresc, à la rare érudition, avait-il lu cette information dans Pline? il connait en tout cas fort bien le fonctionnement de l’œil pour saisir tout l’intérêt de cette méthode d’observation.
Dans la Vie de Peiresc, sous la plume moderne de Gassendi, on trouve ce passage où Peiresc « rappella qu’à Rians avait été creusé un puits d’où normalement il est impossible qu’on voie plus qu’un espace limité de ciel, cependant qu’en plein jour, mais du fond, on voit parfaitement des étoiles : rien d’étonnant, les yeux étant, à cause de la profondeur, plongés dans des ténèbres presque nocturnes, et les pupilles recevant à cause de leur dilatation (comme il se produit d’ordinaire dans l’obscurité) des images plus riches de choses même très menues ».
Un deuxième argument scientifique qui assure le succès de ce mode d’observation fut compris plus tard : le rétrécissement du champ visuel produit par l’entrée du puits permet de supprimer beaucoup de lumière parasite extérieure provenant du ciel bleu et diffusée par les poussières et molécules de l’atmosphère. Cette lumière parasite noie les étoiles les plus faibles. De la même manière les télescopes modernes utilisent des baffles pour masquer toute la lumière parasite venant du ciel bleu extérieur à l’astre observé.
Les nuits de pleine Lune le fond du ciel est très clair ; par manque de contraste on voit peu d’étoiles à l’œil nu, jusqu’à la 3e magnitude. Les astronomes réservent ces nuits « de deuxième choix » à la spectrographie d’astres brillants. Mais même par les nuits « sans Lune » consacrées à la détection des galaxies les plus faibles, et où l’on peut observer à l’œil nu des étoiles de 6e magnitude, le ciel n’est pas encore totalement noir et on est encore géné par ces résidus de la lumière solaire diffusée par l’atmosphère.
En 1917, le physicien et photométriste Charles Fabry mesura que la limite de sensibilité de l’œil – le plus faible point lumineux perceptible dans l’obscurité totale – était une bougie située à 27 km, soit une étoile de 8e magnitude, et non une étoile de 6e magnitude comme l’affirment tous les livres aujourd’hui encore. Fabry se rappela alors qu’en 1901, un astronome américain de l’observatoire de Lick, Heber Curtis, avait observé à l’œil nu une étoile de magnitude 8.5 en regardant à travers un long tube en carton, le puits de Peiresc ; lui-même confirma cette observation en observant ainsi une étoile de magnitude 8.2.

La comète de 1618 à la tête crépue
         Il y eut cette année là quatre comètes visibles à l’œil nu. Sur la fin de l’année brilla au ciel une comète célèbre à l’observation de laquelle Peiresc exhorta tout ce qu’il connaissait d’esprits avisés. C’est la première comète qui fut observée à la lunette, par Peiresc à Aix et par un père jésuite Cysatus à Ingolstadt, elle fut aussi vue par Képler, Snellius et Gassendi. C’est par cette observation faite à Aix que débute le journal d’observation astronomique de Gassendi, en 1618. Il la suivit du 28 novembre 1618 au 13 janvier 1619, il détermine sa trajectoire apparente, ainsi que l’inclinaison de son orbite sur l’écliptique.
Peiresc l’examina au télescope, discerna la forme de la tête et le déploiement de la queue, qu’il compare « au trajet des rayons solaires à travers un fénestron » ; la comète de Chéseaux vue dans la nuit du 8 mars 1744 à Lausanne ressemblera tout à fait à cette description bien particulière.
Gassendi la décrit ainsi : « La comète apparut de fin novembre au milieu de janvier, son émergence s’était produite le matin et on avait vu sa queue se dresser brillante quelques jours avant que ne fût aperçue la tête. La tête était une étoile plutôt pâle, grande comme sont les fixes de première grandeur (mais ne scintillant pas à leur manière), ronde par la face où elle regardait le Soleil, crépue du côté où elle était opposée. Pour la queue, ou chevelure, le rayonnement était plus faible et un peu plus blanc ; longue au début d’un huitième de ciel et large d’à peu près le sixième de ce déploiement. La première apparition de la tête fut du côté où le Scorpion replie ses bras ; son déclin, du côté où le Dragon ne déploie plus sa queue qu’en dernière position. Outre son mouvement diurne par lequel elle se levait et se couchait comme les astres, elle progressa de son mouvement propre du Midi au Nord ; ce fut comme si elle avait débuté au milieu du Scorpion et avait coupé là l’orbite solaire avec une inclinaison vers le couchant d’à peu près 63°. Mais alors que son mouvement initial était de 2°et 2/3 par jour, il devint aux nones de décembre plus rapide d’un degré ; ensuite il décrut jusqu’à s’évanouir. La queue, qui avait été si abondante lors des débuts, se réduisit peu à peu au point qu’elle disparût enfin, confondue avec la tête ». Képler pensait que les comètes traversaient le système solaire en suivant des orbites rectiligne, hypothèse fausse. Peiresc à la vue de la trajectoire apparente de cette comète de 1618 se range à ce point de vue.
Peiresc nous donne son opinion philosophique sur l’origine des comètes : « La comète n’était pas récemment née, mais n’était que récemment apparue. Elle n’était pas morte dissoute, mais ne faisait que paraître avoir cessé, à cause de son éloignement ». Il admet aisément le fait suivant démontré par les observations : « le trajet vers la comète n’est pas seulement plus long que le trajet vers la Lune, il est même à peine inférieur au trajet vers le Soleil lui-même ». Le décalage progressif de la comète par rapport aux étoiles était plus lent que celui de la Lune qui se déplace environ de 14° degrés par jour, et de l’ordre de grandeur du déplacement apparent du Soleil par rapport aux étoiles qui est de 30° par mois. Depuis la comète de 1577 dont la position par rapport à la Lune et aux étoiles avait été observée simultanément par Tycho-Brahé à Uraniebourg et Hagecius à Prague, les astronomes avaient la preuve que les comètes se déplaçaient dans le système solaire comme les planètes et que ce n’étaient pas de dangereux météores venant traverser l’atmosphère terrestre.

Gassendi observe une aurore boréale à Aix-en-Provence
         Dans la nuit du 12 septembre 1621, dans les environs d’Aix, Gassendi observe une forte illumination du ciel qu’il baptise aurore boréale. Gassendi observe d’heure en heure ce phénomène qui se produit dans la direction du nord. Il suit les variations d’éclat de la lueur, tantôt vert-jaunâtre, tantôt rouge, qui illumine le ciel. Il note l’évolution de sa forme en arc, en bandes, en draperie ou en faisceaux de rayons. Gassendi nous apprend que cette aurore boréale très spectaculaire a été également observée dans la direction du nord par ses correspondants à Grenoble, Paris, Rouen, Toulouse et même à Alep. Il apporte ainsi la preuve que ces phénomènes lumineux se produisent à altitude élevée, quelques centaines de kilomètres au-dessus des régions polaires, on estime aujourd’hui cette altitude à deux ou trois cent kilomètres pour les aurores boréales de couleur vert ou bleu, et à quatre ou cinq cent kilomètres pour les aurores boréales de couleur rouge visibles de plus loin, comme celle observée à Aix-en-Provence par Gassendi. On sait désormais que les aurores boréales sont provoquées par un flot de particules électrisées provenant du Soleil et canalisées vers les pôles par le champ magnétique terrestre. Lorsque ces particules chargées pénètrent dans la couche ionosphérique située à quelques centaines de kilomètres d’altitude, elles provoquent le phénomène de luminescence que Gassendi appelle aurore boréale.

Gassendi et les taches solaires
         Quand Gassendi acquit sa première lunette astronomique, Fabricius et Galilée avaient déjà découverts les taches solaires depuis une dizaine d’années. Il les observa néanmoins avec le plus grand soin durant toute sa vie et spécialement de 1620 à 1626. Le mathématicien Pierre Humbert est admiratif devant ses conclusions rassemblées en 20 propositions d’une grande clarté et précision qui tranchent avec le style prolixe et obscur des autres scientifiques de son temps. Ces propositions ont été confirmées par les observations modernes, en voici quelques-unes :
– I – Le Soleil est parfois sans taches pendant plusieurs jours ; il en peut présenter pendant plusieurs mois consécutifs.
– II – Il s’en trouve, tantôt une, tantôt deux ou davantage, parfois jusqu’à quarante en même temps ; elles sont tantôt fort écartées, tantôt voisines ou même contiguës.
– III – Toutes avoisinent l’écliptique, et restent dans une zone qui, soit au-dessus soit au-dessous, occupe sur le Soleil environ un quart de la surface ; on n’en voit aucune dans les régions qui sont voisines des pôles de l’écliptique.
– IV – Les taches ne restent point immobiles : mais, d’un mouvement lent, décrivent des arcs – qui nous apparaissent comme des droites – sur le disque solaire.
– V – Ce mouvement cependant n’est pas exactement parallèle à l’écliptique : il est faiblement incliné sur elle du Nord vers l’Est 
(on connait aujourd’hui cette valeur 7°16′).
– VI – Les taches se meuvent de l’Orient du Soleil vers l’Occident.
– X – Le temps que met une tache pour traverser tout le disque solaire est en général de 12 jours, plus rarement de 13 : on peut cependant ajouter un jour à cause de la lenteur du mouvement au voisinage de chaque limbe, où elles semblent pour ainsi dire ramper, fuyant le rayon visuel 
(la demi-période synodique moyenne de la rotation solaire est en effet de 13 jours).
– XI – Certaines apparues au limbe oriental, s’évanouissent au bout de quelques jours, dans leur mouvement sur le disque.
– XII – Certaines, au contraire, naissent dans le disque lui-même, soit non loin du limbe, soit vers le centre, et disparaissent au limbe occidental.
– XIII – Certaines naissent dans le disque, et, avant d’être arrivées au bord occidental, périssent.
         Ces propositions de Gassendi sont ici traduites du latin en français, mais cela n’empêche pas d’apprécier la limpidité de sa pensée scientifique. Gassendi raisonne bien, pense juste et s’exprime avec clarté, même si l’on a dit que la langue latine était plus apte que la langue française à l’expression scientifique. Peu de temps après Blaise Pascal atteindra la même qualité d’expression, en langue française.

Les cinq Soleils, outre le vrai  quatre bâtards
         En 1628 Peiresc est informé par Christophe Scheiner, un mathématicien et jésuite, qu’il s’est produit à Rome, le 20 mars, un parhélie exceptionnel où l’on vit cinq Soleils, « outre le vrai quatre bâtards ». Peiresc recueille l’avis de son ami Gassendi, qui ne manque de se moquer de tous ceux qui veulent tirer des présages de ce phénomène spectaculaire et y voient un prodige.Le 24 janvier 1629, également à Rome, le père Scheiner est stupéfait de voir un aussi grand nombre de soleils, « il observa sept Soleils, simultanément visibles, dans cette même ville ».
Cette apparition de faux-Soleils, comme l’écrit Gassendi, est considérée à juste titre comme un prodige ; ce phénomène très exceptionnel reste incroyable, même pour un astronome et opticien averti du XXe siècle, tellement ces images du Soleil, ces faux- soleils, ressemblent au vrai Soleil, situé au centre. L’étymologie la plus crédible de parhélie, car conforme au phénomène réellement observé, ferait venir ce mot de la racine latine par, qui veut dire égal, et du grec hélios, qui veut dire Soleil. Le Livre des prodiges décrit le Soleil comme flanqué de chaque côté, à 22° de distance angulaire et à la même hauteur, de deux faux-Soleils aussi intenses que le Soleil lui-même. C’est le phénomène des trois Soleils qui impressionne vivement tous ceux qui ont la chance de l’observer. Exceptionnellement, on a aussi observé cinq Soleils et même sept Soleils. Ce phénomène peut aussi se produire avec la Lune. Il se nomme alors parasélène. La mémoire collective a retenu le parasélène de cinq Lunes survenu en 1203, année de l’assassinat d’Arthur Ier de Bretagne par son oncle Jean sans Terre, et un parhélie de trois Soleils en 1514, année de la mort d’Anne de Bretagne. Mais le plus célèbre reste le parhélie de cinq Soleils de 1629. Gassendi, le premier, en donna une explication météorologique et atmosphérique dans un long traité Parhelia seu soles consacré à ce phénomène. On retouve trace de ces prodiges sur des pierres tombales, preuve de la marque laissée qu’ils laissèrent sur leurs témoins oculaires.
Dès 1623, Peiresc a acquis un microscope chez Chorez un lunetier de Paris, il est ébahi de voir dans cet instrument « qu’un siron apparaist aussi gros qu’un pois, tellement qu’on discerne sa teste et ses pieds et son poil » ; la dimension d’un Tyroglyphus Siro étant de 0,5 mm et celle d’un pois de 8 mm, on peut donc penser que le microscope de Peiresc grossissait 16 fois. C’est avec ce microscope que Peiresc et Gassendi peuvent observer la structure des cristaux de neige qui possèdent des formes toujours symétriques, comme une étoile à six branches, avec des facettes hexagonales réfléchissantes comme des petits miroirs. C’est le point clé de l’explication des parhélies pressentie par Peiresc et Gassendi mais qui ne sera démontrée que plus tard.
Les arcs-en-ciel, nous l’avons vu, sont dus à des gouttelettes d’eau en suspension dans l’air, à faible altitude, ce sont des phénomènes de réfraction qui donnent des teintes irisées avec de belles couleurs. Les parhélies, eux, sont dus à la présence de cristaux de glace ou de neige dans la haute atmosphère, ces faux-Soleils sont produits par réflexion sur les faces des cristaux de glace qui agissent comme de petits miroirs. Ce sont des phénomènes blancs.
Les faux-Soleils sont très spectaculaires mais très rares, ils se produisent quelque fois par siècle quand ces nuages chargés de cristaux sont surélevés à des altitudes stratosphériques. Lors du dernier parhélie de trois Soleils, observé à Marseille le 25 août 1988, les deux faux-Soleils avaient la même netteté de contour et la même intensité que le véritable Soleil, l’un à mieux que 2 % près, l’autre à 10 % près ; cela s’explique bien puisqu’il s’agit d’une réflexion totale dans les cristaux. Pour un observateur apercevant un seul de ces faux-Soleils entre deux immeubles élevés, il était totalement impossible de le distinguer du vrai, les astronomes professionnels furent un bref instant pris au piège avant de voir l’ensemble du phénomène : le vrai Soleil encadré de deux de ses images. En juillet 2002, en Sibérie, au-delà du cercle polaire, un explorateur polaire, Gilles Elkaïm, qui descendait le cours du fleuve Kheta vers la mer de Laptev, photographia Trois Soleils juste au-dessus de l’horizon.

Les lunettes et télescopes de Peiresc et Gassendi
         Le manuscrit n°1803 de la bibliothèque de Carpentras nous apprend qu’entre le 24 novembre 1610 et le 21 juin 1612, Peiresc utilisa cinq lunettes différentes mais il en emploie surtout trois qu’il désigne par les abrévations B, Belgico, CL, Claro, et M, Maximo.
Peiresc utilise aussi dès cette époque, un télescope perspicillo trilenti. S’agissait-il d’un télescope terrestre qui redressait l’image, une combinaison à trois verres convergents comme indiqué dans la Dioptrique de Képler en 1611? Le père Scheiner en aurait exécuté un modèle vers 1615, Beeckman en étudiait la théorie en 1622, le père de Rheita revendiquait son invention en 1630, et Drebbel semble avoir construit de semblables instruments avant 1624, d’après une relation de Peiresc qui en eut connaissance très tôt, à Paris par le Sieur Gabriel Michel.
S’agissait-il au contraire d’un combinaison de trois lentilles identiques plan-convexe, l’une utilisée en lentille convergente, la seconde en miroir plan avec un amalgame réfléchissant et la dernière en miroir concave. Un échange de lettres entre Peiresc et Mersenne daté de 1635 pourrait le suggérer. « J’ay donc appris que trois verres de mesme grandeur, matière et figure, dont l’un estoit sans teint, l’autre avec teint sur son convexe et le troisième sur son costé droit, que le premier brusle à deux pieds par réfraction, sa section étant prise sur un cercle dont le diamètre est de 2 pieds. Le teint sur le plan droit le fait brusler d’un pied par réflexion, et le teint sur le convexe le fait brusler de demi-pied. Vous en verrez l’expérience en faisant faire trois verres de mesme grandeur sur un mesme moule ». En tout cas on peut au moins conclure que les opticiens de l’époque imaginèrent et étudièrent bien des solutions avant que quelques configurations optiques plus efficaces et plus aisées à construire ne fassent vraiment leur preuve.
Peiresc possédait aussi des lunettes binoculaires que le lunetier Daniel Chorez lui avait offert après les avoir présenté au Roi de France en 1620. Comme les longues lunettes avaient un champ très faible (comme nos télescopes modernes), explorant à chaque fois une très faible partie de la Lune, cette paire de jumelles, à plus courte focale fut certainement utile pour établir la carte de la Lune ; son champ plus grand facilitait la reconnaissance d’ensemble.
Gassendi a lui aussi toute une série de lunettes. Lors de l’éclipse de Lune du 20 février 1636 à Digne, Gassendi a cinq lunettes de focales différentes, il considère comme la meilleure celle que lui a envoyé Galilée la même année. Descartes était admiratif devant sa qualité, et dans une lettre à Colvius il parle de la chance de Gassendi,  » héritier de la bonne et célèbre lunette de Galilée « . Mersenne trouvait que cette lunette de Gassendi avait meilleure qualité que les lunettes de Torricelli ; pourtant, la rumeur s’était répandue que Torricelli avait un  » secret  » pour fabriquer des lentilles extraordinaires, (peut-être en contrôlant leur polissage par des franges d’interférences). En 1637 Gassendi hérite de tous les instruments de Peiresc, et en 1646, il recevra une lunette de 4 pieds1/2 de longueur focale, cadeau de son ami Hévélius, l’astronome-opticien de Dantzick, qui en a personnellement taillé les verres.

Képler annonce que la planète Mercure va passer devant le Soleil
         Le passage de Mercure ou de Vénus devant le Soleil est un phénomène rare qui ne se produit que quelques fois par siècle. En raison de l’inclinaison de leur orbite, 7° pour Mercure et 3° pour Vénus, ces planètes passent au-dessus ou au-dessous du Soleil sauf quand elles se trouvent au voisinage de la ligne des nœuds, quand le plan de leur orbite coupe celui de l’orbite de la Terre, le plan de l’écliptique. Ces rares passages de Mercure et de Vénus devant le Soleil sont importants car ils permettent de préciser avec grande exactitude l’orbite de ces planètes : la position de la ligne des nœuds et l’inclinaison de leur orbite.
Dans son Histoire des Mathématiques de 1758, l’astronome Montucla nous raconte comment Képler, avec ses fameuses Tables Rudolphines dressées à partir des observations de Tycho Brahé et de ses propres observations, parvint à prévoir ces événements très rares et à calculer les jours où les planètes intérieures Mercure et Vénus se situeraient juste devant le Soleil. Ce fut une grande étape dans la prévision des événements astronomiques, elle montre la puissance du calcul astronomique et la bonne connnaissance des orbites et mouvements des planètes. « Les observations de Mercure sont si rares, et se font dans des endroits si désavantageux, que tant qu’on n’a eu que la manière ordinaire de l’observer, on ne pouvait avoir trop de défiance sur la justesse de la théorie de cette planète. Mais son passage devant le Soleil offre le moyen de déterminer avec beaucoup d’exactitude deux des éléments principaux de cette théorie, à sçavoir la position des nœuds et l’inclinaison de l’orbite à l’écliptique. En effet, il est visible que Mercure ne peut passer devant le disque du Soleil qu’aux environs de ses nœuds. Mais tandis qu’il passera devant ce disque, et qu’il paraîtra le traverser sous la forme d’une tache noire, on pourra avoir à chaque instant, et surtout à son entrée et à sa sortie, sa position à l’égard de l’écliptique, c’est-à-dire sa longitude et sa latitude. Or ces choses étant données, rien n’est plus facile que de déterminer sur l’écliptique le point où sa route prolongée la rencontre, et l’angle qu’elles forment entre elles. On aura donc le nœud voisin du lieu de l’observation, et l’angle de l’écliptique avec l’orbite de la planète.
         L’importance de l’observation que l’on vient de décrire avait engagé Képler dès le commencement du siècle, à guetter, pour ainsi dire, Mercure devant le Soleil, et il avait cru l’y apercevoir le 28 mai de l’annnée 1607. Ayant reçu de jour-là l’image du Soleil sur la chambre obscure, il y avait vu une tache noire qu’il avait pris pour Mercure, conformément au calcul qu’il avait fait d’après une fausse position des nœuds. Il avait annoncé son observation en 1609 ; mais aussitôt après la découverte des taches du Soleil, il vit qu’il s’était trompé, et il reconnut que ce qu’il avait pris pour Mercure dans le Soleil, n’était qu’une tache qui se trouvait par hazard alors sur le disque de cet astre. (…)
Képler rectifia sa théorie sur de nouvelles observations, et avertit en 1629 les Astronomes de se préparer à observer Mercure devant le Soleil le 7 novembre de l’année 1631. Il annonçait un passage semblable de Vénus pour le 6 décembre de la même année. A la vérité, ce dernier devait arriver durant la nuit à l’égard de l’Europe ; mais Képler ne se tenait pas assez assuré de ses calculs, pour oser prononcer qu’il ne serait pas visible dans cette partie de la terre. »
         Les astronomes amateurs du XXIe siècle qui se sont réjouis d’observer le passage de Mercure 7 mai 2003 n’avaient pas sous-estimé les difficultés de cette observation, plus difficile que l’observation des taches solaires. Dans son Histoire des mathématiques Montucla nous rapporte « qu’un grand nombre d’astronomes se tinrent près à l’observation de Mercure ; mais peu furent assez heureux pour la faire. Tous ceux qui se contentèrent d’introduire dans la chambre obscure l’image du Soleil, comptant y apercevoir Mercure, furent frustés de leur attente. Il n’y eut que ceux qui se servirent du télescope pour contempler pour former son image, qui aperçurent cette petite planète, tels furent Gassendi à Paris, Cysatus à Innsbruck, Quietanus en Alsace et un anonyme à Ingolstadt. Nous ne connaissons aucunes circonstances des observations des trois derniers, c’est pourquoi nous nous bornerons au récit de celle de Gassendi ».
         Dans une Admonitio ad astronomos datée de 1629, Képler, avait prédit deux ans à l’avance, le jour et l’heure du passage de Mercure devant le Soleil, mais il n’eut pas la joie d’observer la planète devant le Soleil. Montucla le déplore, « On sera peut-être étonné de ne point trouver Képler parmi les observateurs de Mercure. Cet homme célèbre n’eut pas même le plaisir de sçavoir si son calcul étoit exact. Il étoit mort l’avant-veille du jour qu’il avoit annoncé pour cette observation. Quel regret pour un Astronome qui a son art à cœur, de quitter la vie dans pareille circonstance ».
Képler, à qui l’on doit les trois lois qui permettent de calculer l’orbite elliptique des planètes, mourut pauvre, méconnu par ses contemporains, abandonné de tous. « Il laissa à sa mort, dit Arago, 22 écus, un habit, deux chemises, 57 exemplaires de ses éphémérides et 16 exemplaires de ses tables Rudolphines ». Galilée et Descartes lui manifestèrent souvent mépris et indifférence. Gassendi au contraire, comme le rapporte l’astronome Jean-Baptiste Delambre, « avait su concevoir une très haute estime pour le génie de Képler » ; cet ami fidèle eut le bonheur d’observer l’événement tant attendu et annoncé par ce grand savant.

Gassendi observe le passage de Mercure devant le disque solaire, 1631
         Observer le tout petit disque noir d’une planète devant le Soleil éblouissant exige un système optique à longue focale : ainsi on obtient du détail sur l’image, on évite l’éblouissement et l’importante lumière parasite diffusée de toutes parts. Pour résoudre cette difficulté, Képler et Gassendi avaient eu, indépendamment, l’idée d’améliorer la chambre noire en utilisant une lunette qui projette sur l’écran une image très agrandie du Soleil.
Avec un luxe de préparation, Gassendi équipe son écran d’un quadrillage orienté parallèlement à l’écliptique. Il prévoit de faire glisser le long de ce quadrillage un cache mobile de la dimension du Soleil et gradué circulairement. Des scribes sont chargés de noter de minute en minute le déplacement de Mercure et sa trajectoire sur le Soleil. Un aide-astronome situé à l’extérieur de la chambre noire mesure constamment la hauteur du Soleil avec un quart de cercle pour connaître l’heure directement ; en effet à cette époque on utilisait rarement les horloges ou garde-temps dont il fallait trop souvent ajuster la marche sur celle des astres. Mais Gassendi se plaint de la présence gênante de personnalités qui, par leurs questions naïves, troublent la concentration indispensable lors de ces opérations préparées avec tant de soin. Aujourd’hui, la vieille check-list de l’astronome – la séquence des manœuvres successives du télescope, des spectromètres, des scanner-enregistreurs et des systèmes de calibration – est enregistrée plusieurs semaines à l’avance dans le programme de l’ordinateur qui pilote les hyper-télescopes actuels.
« Gassendi qui guettait l’instant où il pourrait apercevoir le Soleil, tourna aussitôt son télescope vers cet astre, et n’y aperçut qu’une petite tache noire et ronde, déjà assez avancée sur son disque, à 1/4 du diamètre. La petitesse extrême de cette tache lui fit d’abord croire que ce n’était point Mercure qu’il croyait beaucoup plus gros ; mais, peu de temps après il vit que le point noir avait changé de place (Mercure met sept heures pour un passage diamétral) alors il crut tout de bon que c’était Mercure qu’il voyait. Il donna le signal convenu en frappant sur le plancher pour obtenir l’heure exacte mais son aide prétextant le ciel couvert avait momentanément déserté son poste (…) rappelé et réprimandé (…). Gassendi se hâta de déterminer la route de Mercure sur le disque du Soleil avec l’instant et l’endroit de sa sortie ».
L’astronome Delambre nous transcrit ainsi le texte de Gassendi. « Le diamètre de Mercure parut de 20″ environ, le milieu du disque était noir, les bords rougeâtres. Quand Mercure sortit, le Soleil était élevé de 21° 44′, qu’il réduisit à 21° 42′ à cause de la réfraction : d’où il conclut la sortie à 10h 28m du matin, le 7, à 32 ou 33° du vertical. Il en déduit le lieu du nœud par 14° 52′ dans le signe 7 du Scorpion ; la durée dut être de cinq heures et la conjonction se produisit à 7h 58m, par 14°36′ dans le signe 7 du Scorpion, la latitude étant de 4′ 30″. L’erreur des tables de Képler était de 13′ en longitude, de 1′ 5″ en latitude, erreur fort petite. C’était par contre extrêmement difficile d’annoncer l’heure exacte de l’événement, il eut lieu 4h 49m avant l’heure annoncée par Képler »
« Qui pourrait s’imaginer que ce Mercure, qu’on appelle ici trismégiste
, très grand, fût d’une telle petitesse, qu’on devrait plutôt l’appeler trisélachiste, très petit. Gassendi conclut qu’il faudra diminuer de beaucoup les diamètres apparents des étoiles et ceux planètes. Il conjecture avec perspicacité que le diamètre apparent de Vénus ne doit pas surpasser une minute d’arc ».
         D’autres astronomes avaient tenté d’observer le passage de Mercure devant le Soleil. Ils avaient échoué par manque de technique. Gassendi, pourtant modeste, ne peut cacher sa joie. Delambre nous rappelle la lettre qu’il écrit alors à son ami Schickardt, professeur d’hébreu à Tubingen : « Le rusé Mercure voulait passer sans être aperçu, il était entré plutôt qu’on ne s’y attendait, mais il n’a pu s’échapper sans être découvert, eurhca cai  ewraca ; je l’ai trouvé et je l’ai vu ; ce qui n’était arrivé à personne avant moi, le 7 novembre 1631, le matin. »

Ce jour-là Peiresc laisse passer l’heure
         Peiresc attendait avec impatience cette observation. Il était convaincu que l’ombre apparue pendant huit jours sur le Soleil à l’époque de Charlemagne n’était pas due au passage de la planète Mercure commme on l’avait cru, mais à des taches solaires. En ce mois de novembre Peiresc préparait son télescope pour cette observation ; « Képler, méfiant sur le calcul, avait demandé de surveiller trois jours avant et jusqu’au septième jour ». Mais, Gassendi le précise, « la présence de certains invités avait ôté de la mémoire de Peiresc que l’observation avait été prévue sur l’ensemble de la matinée, et il s’employait à les mener écouter la messe et à les accueillir autour d’une table bien garnie. Il se répandit en plaintes impressionnantes quand il fut informé de l’heure où l’observation avait pu se faire et, à l’inverse, il se félicita hautement de ce qu’il m’eût été permis, à moi le premier, – et qui sait ? à moi seul – d’en être le témoin ». Dans une lettre longtemps restée inédite, Peiresc félicite chaleureusement Gassendi pour cette belle observation  » du passage et sortie de Mercure devant la face du Soleil est l’une des plusdignes qui se soit faite de beaucoup de siècles ».

Pourquoi les nuits sont noires
Pourquoi le ciel est-il noir la nuit? C’est une question que se posa Gassendi, elle est aujourd’hui connue sous le nom de paradoxe d’Olbers, l’astronome qui souleva à nouveau ce problème en 1826. C’est un raisonnement subtil de ce type qu’applique Gassendi.         Gassendi se demande pourquoi toutes les étoiles qui luisent à nos yeux dans une belle nuit n’ont pourtant pas toutes ensemble une lumière qui soit équivalente à celle de la Lune. Si le diamètre apparent des étoiles était bien de 5″ d’arc comme le pensait Galilée, alors, réunies ensemble les étoiles formeraient un disque égal à 1/183 de la surface lunaire. Comme leur lumière est plus vive que celle de la Lune, elles devraient, pense Gassendi, nous éclairer davantage la nuit. Intrigué, il mesure alors le diamètre apparent des étoiles avec une lunette de longue focale et trouve un diamètre de 1″ d’arc, soit un disque stellaire 25 fois plus petit que celui mesuré par Galilée. Il conçoit dès lors pourquoi la voute céleste nous éclaire si peu.
Cette méthode a été améliorée au cours des siècles en tenant compte du nombre des étoiles de la Voie lactée dans chaque tranche de magnitude et, plus tard, en prenant en compte les autres sources de rayonnement visible dans les systèmes interplanétaires, interstellaires et intergalactiques ; les décomptes des étoiles des galaxies et des quasars ont été faits avec des méthodes de ce type.

Peiresc et Gassendi rétrécissent la Méditerranée de plus de 1 000 km
         La longueur de la mer Méditerranée avait été déterminée par l’astronome grec Ptolémée. Au XIe siècle, l’astronome Arzachel de Tolède pense que cette longueur est surévaluée. Peiresc, bibliophile acharné, a-t-il lu Arzachel ? ou les difficultés des navigateurs pour trouver la direction exacte des îles de Crête et de Chypre éveillent-elles chez lui des doutes sur la fiabilité des cartes maritimes ? En partant de Malte, les marins ont alors coutume de donner un quart de vent au nord par rapport à la boussole magnétique pour aborder la Crête, une moitié de vent pour atteindre Chypre.
Peiresc est persuadé que ces corrections de route sont rendues nécessaires en raison des erreurs affectant les cartes de la Méditerranée. À Marseille, il transforme la bastide des Aygalades de son ami du Vair en un véritable Bureau des longitudes. En échange de ses conseils de navigation, Peiresc se fait rapporter des contrées lointaines documents et plantes exotiques. Il précise lui-même : « Les plus expers mariniers de Marseille qui se trouvèrent à cette observation, et ceux mesmes qui font les cartes marines estaient ravis, et quasi hors d’eux de voir résouldre si facilement la difficulté qu’ils n’avaient jamais sçu entendre ni comprendre, pourquoy il leur fallait donner un quart de vent à la gauche en leur course de ponant en levant jusques en Candie, (Crête), et deux quarts de la Candie en Chypre et par de là, et qu’au retour il en fallait faire aultant et du mesme costé. Ce qui estonnoit davantage ces Messieurs estait quand je leur disais que pour tirer ces belles consequences pouvait quasi suffire la lettre d’un marchand de ce païs ».
         À l’occasion de l’éclipse de Lune du 27 août 1635, Peiresc organise le premier réseau moderne d’observations astronomiques simultanées. Comme le souligne l’astronome Guillaume Bigourdan, Peiresc envoie « en mission »et « sur programme » des astronomes en des points stratégiques de la côte méditerranéenne ; ce terme de « mission » – un peu les missi dominici, les « envoyés du maître » à l’époque de Charlemagne – est le terme qui est toujours employé pour les astrophysiciens d’aujourd’hui qui attendent avec impatience que les instances scientifiques leur accorde un « ordre de mission » pour aller observer aux grands télescopes internationaux d’Hawaï ou du Chili.
Par sa renommée, son abondante correspondance et ses nombreux voyages, Peiresc a en effet constitué un réseau de relations influentes. Avec l’appui à Rome du cardinal Barberini et des congrégations des jésuites, des minimes et des capucins, Peiresc enrôle et forme aux observations des astronomes laïcs et religieux. La bastide des Aygalades devient une école d’astronomie avec un enseignement théorique et pratique. Cette éclipse de Lune de 1635 permet à Peiresc de mener à bien cette opération longitude longuement préparée. Jamais une éclipse n’avait eu encore autant d’observateurs dans autant de lieux ; elle rassemble le père Agathange de Vendôme au Caire, les pères Célestin et Michel Ange à Alep en Syrie, le père Thomas d’Arcos à Carthage, Jean Lombard à Malte, le père Kircher à Rome, Argoli à Padoue, de Clairmont à Césène, Molino à Venise, Glorioso à Naples, les pères capucins César de Roscoff, Agathange de Morlaix, Gilles de Loches, Charles François d’Angers, Ephrem de Nevers, Pierre de Guingamp, Zacharie de Nogent, Maclou de Pontoise, enfin Gassendi à Digne, Vendelin et Corberan à Aix, Peiresc à Marseille… et le père Joseph Bressan au pays des Hurons, au Québec.
Peiresc ne manque pas de revenir à la charge de ses correspondants angoissés par les difficultés de ces observations astronomiques et inquiets de le décevoir. A Thomas d’Arcos à Tunis, « qui se trouve bien marry de se trouver en l’impossibilité de lui obéir, et honteux d’en avoir la capacité, car vos questions pour leur multiplicité et curiosité appartiennent à des gens de plus grand savoir et expérience que moi… » Peiresc  appelle à l’effort en montrant que toutes les cartes depuis Carthage jusques au fond de la Méditerranée sont erronées depuis longtemps, depuis les mesures de longitudes « qui avoient été faites de la distance de Carthage d’avec Arbelles( en Assyrie, aujourd’hui Irak) où fust donnée ceste célèbre bataille du temps d’une Eclypse notable qui fust veûe en mesme instant à Carthage soubz une heure differemment supputée ».
Les astronomes doivent déterminer l’heure locale du début de l’éclipse. Comme à cette époque Huygens n’a pas encore inventé l’horloge à pendule, ils utilisent la méthode astronomique fondée sur la mesure de la hauteur des étoiles au-dessus de l’horizon. Au retour, les observations sont comparées : la différence entre les heures locales donne directement la différence de longitude. Le résultat est spectaculaire. La mer Méditerranée a 1 000 km de moins que la distance indiquée sur les cartes : 42° en longitude au lieu de 61° 30′ selon la carte de Ptolémée. Peiresc conclut  » que les cartes et globes terrestres sont fautifs de plus de 200 lieues d’ici en Alep « , c’est la longueur de son bassin oriental qui, de Carthage à Alexandrie, était fortement surestimée. « Donc le fait étant établi, Peiresc convoqua les marins et, après confection d’un diagramme, exposa le problème en des termes tels qu’ils en restèrent interdits et, interrogés sur le détail des distances, admirent volontiers que sur les 2 700 milliaires que l’on compte ordinairement entre Marseille et Alexandrie, 500 pour le moins pouvaient être défalqués ».
C’est à cette époque, en 1634, qu’eut lieu la conférence de l’Arsenal sur la détermination des longitudes ; par décision de Louis XIII, le pic de l’île de Fer à la pointe occidentale des îles Canaries fut choisi comme origine des méridiens. Cette Déclaration du Roy portant défenses à ses sujets d’entreprendre sur les Espagnols et les Portugais au deça du premier Méridien était un acte de police maritime fixant le droit commmercial, elle ne visait pas un but scientifique.
Quelques années plus tard, sous le règne de Louis XIV, une opération identique de longitude concernant la carte de la France est menée par l’astronome La Hire. La superficie du royaume se trouve réduite de 5 %. À Louis XIV, déçu par l’annonce de ce résultat, La Hire répondit avec panache : « Sire, on ne juge pas la puissance d’un Monarque à l’étendue de son royaume mais au nombre et à l’attachement de ses sujets« .

La première carte de la Lune a été faite à la Montagne Sainte-Victoire
         Claude Mellan, le troisième homme de cette première carte lunaire, est moins connu que Peiresc et que Gassendi. L’historien Gérard Double nous apprend que Mellan, fils d’un chaudronnier travaillant pour des graveurs et très doué pour le dessin, est né à Abbeville en 1598. Il apprend la gravure auprès des meilleurs maîtres et, sur recommandation de Peiresc auprès du pape Urbain VIII, il va perfectionner son art à Rome qui fourmille alors d’artistes prestigieux. En 1630, Mellan fréquente Poussin, Mignard, le Lorrain, le Bernin. Il crée un style bien à lui, simplifiant le tracé et abandonnant la taille croisée pour la taille unique. Mellan n’utilise que des traits mis les uns à côté des autres. Il se contente de les graver de façon plus ou moins profonde pour donner l’impression du relief. Mellan devint plus tard le graveur de Louis XIII. Il fit un portrait de Peiresc.
Peiresc tentait depuis longtemps de faire graver une carte de la Lune mais les premières tentatives étaient restées infructueuses. Apprenant, en 1636, que Mellan doit passer par Aix en Provence, Peiresc met à contribution pour l’astronomie « l’un des grandzs peintres du siècle et le plus exacte graveur en taille doulce qui ayt encore esté, lequel revient de Rome aprez y avoir sesjourné une douzaine d’années ».
Le projet se développe spontanément. Peiresc et Gassendi rassemblent leurs meilleures lunettes et s’installent avec Mellan au sommet de la montagne Sainte-Victoire, site astronomique très pur. Pendant de belles nuits, du 24 septembre au 7 novembre 1636, ils réalisent ensemble de nombreux dessins de la Lune. Mellan grave, en taille douce, dans l’airain, trois cartes de la Lune à son premier quartier, à son dernier quartier et à la pleine lune. Avec sa parfaite maîtrise technique, il réussit à rendre parfaitement compte du relief, des ombres et des contours. Sa carte du premier quartier est particulièrement réussie. On y voit, avec un excellent contraste, cirques, cratères (on sait aujourd’hui qu’il n’y a pas d’explosion volcanique sur la Lune), montagnes et mers(on sait aussi qu’il n’y a pas de mers ni de lacs). Mais Peiresc meurt en 1637. Le premier atlas lunaire reste inachevé. Ces gravures de la Lune sont aujourd’hui conservées à la Bibliothèque nationale. En 1647, Hévélius, dans sa sélénographie, ne fera pas mieux ; Cassini non plus, dans sa fameuse Carte de la Lune.
Peiresc et Gassendi avaient pris conscience que la cartographie lunaire est indispensable pour augmenter la précision des mesures de longitude (lors des éclipses) ; une bonne carte lunaire est également indispensable pour mesurer avec précision les durées d’occultation d’étoiles et de planètes. L’astronome se laisse en effet toujours surprendre par le début d’une éclipse, il attend le phénomène et s’aperçoit soudain que l’ombre de la Terre se projette déjà sur la Lune ; il a manqué le début du phénomène. Avec une carte lunaire, et en suivant le lent défilement de l’ombre, on peut déterminer l’instant précis où l’ombre de la Terre se projette sur tel ou tel cratère. De même, lors des occultations d’étoiles et de planètes par la Lune, il est très important de savoir que l’étoile disparaît par exemple au niveau du cratère Philolaus et qu’elle ressort entre les cratères Hermès et Copernicus. Cela permet de connaître la trajectoire.
Pendant cette campagne d’exploration de la Lune effectuée à la montagne Sainte-Victoire, Peiresc et Gassendi remarquent un mouvement d’oscillation de la Lune, phénomène qui n’avait jamais été signalé jusque-là. La Lune qui semble présenter toujours la même face est en fait animée d’un léger mouvement d’oscillation qui permet d’apercevoir tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, une petite partie de l’autre hémisphère. Peiresc et Gassendi cartographient les cratères qui se trouvent dans ces deux secteurs. Ils évaluent l’amplitude (environ 15°) et la période d’oscillation de la Lune. La totalité de la face cachée ne sera dévoilée que par les sondes lunaires.
« Galilée qui avait le faible de vouloir s’approprier toutes les nouvelles découvertes qui se faisaient de son temps dans le ciel » tente de revendiquer cette découverte. Il essaie d’expliquer ce phénomène d’oscillation par un effet de parallaxe. S’il avait pu observer le ciel, il se serait vite convaincu de l’insuffisance de cette explication. Hélas, en sa prison d’Arcetri, en Toscane, Galilée aveugle ne pouvait plus observer.

Ces astronomes qui ont laissé leur nom à des cratères sur la Lune…
         Quelques années plus tard, Van Langren, Florentius Langrenus, dresse à son tour une sélénographie (gr. Selênê, Lune), une géographie de la Lune. Il est fier d’annoncer à Peiresc qu’il a mis les noms « de tous les anciens et modernes mathématiciens, princes et seigneurs amateurs de ceste estude. Votre nom – Peiresc – n’est pas oublié ny celui de M. Gassendi et P. Mersenne ». Dès 1645, 170 cratères de la Lune portent les noms d’astronomes et de savants célèbres : Aristote, Archimède, Hipparque, Ptolémée, Arzachel, Copernic, Tycho Brahé, Képler, etc. Les astronomes de Provence sont à l’honneur dans ce palmarès : Pythéas, Peiresc, bien sûr, Gassendi – dont le nom est donné à l’un des plus grands et des plus beaux cirques lunaires –, le père Feuillée et les découvreurs de comètes Pons, Gambart et Tempel.…et à des fleurs
         Dans Voyages et découvertes scientifiques  des missionnaires naturalistes français à travers le monde, le botaniste Paul Fournier nous rappelle que c’est le père Plumier qui introduisit la tradition de donner aux fleurs, aux genres nouveaux, le nom de botanistes marquants que l’on souhaite honorer. Ainsi, furent désignés le peireskia, arbuste à fleurs blanches, en l’honneur de Fabri de Peiresc, le fuchsia pour le botaniste allemand Fuchs, le bégonia en l’honneur de l’intendant des Galères Bégon, le genre lobelia pour le botaniste de Lobel, le magnolia pour Magnol fondateur du Jardin des plantes de Montpellier, l’hortensia, ou Pautia, sans doute pour l’astronome Hortense Lepaute, le bougainvillier ou la bougainvillée pour le comte de Bougainville ainsi honoré par Commerson le botaniste de sa célèbre expédition. Enfin pour le père Plumier lui-même le plumiera, un frangipanier que lui dédie Tournefort, et, pour le père Feuillée, astronome et botaniste, l’Inga Feuillei du Pérou.
Peiresc et Feuillée, tous deux astronomes et botanistes de Provence, ont ainsi laissé leur nom à un cratère lunaire et à une fleur.

La nature des cratères lunaires
         On sait aujourd’hui que les cratères lunaires sont d’origine météoritique ; les deux autres explications longtemps avancées ne furent jamais convaincantes : ni l’origine volcanique, ni l’hypothèse de grosses bulles remontant à la surface d’un milieu visqueux, marécageux. Une objection majeure fut longtemps faite à cette origine météoritique. Pourquoi, se demandaient les astronomes, les cratères sont-ils tous circulaires? Puisque les météorites arrivent sous des angles d’incidence variés, raisonnaient-ils, les cratères devraient donc être des ellipses diversement allongées.
C’est seulement en 1916, dans un article de la Revue générale des sciences, Les Pierres tombées du ciel, qu’un astronome, Jean Bosler, répondit à cette forte objection, c’est le souffle radial qui crée ce cratère circulaire. Par analogie avec le souffle d’explosion causé par les bombes de la Grande Guerre, Jean Bosler montra que les cratères lunaires sont causés par l’onde de choc provoquée par l’impact des météorites. Il expliqua aussi comment des petits météorites avaient pu créer de si grands cratères sur la Lune. Ils créent effectivement un petit impact mais le souffle de l’explosion provoque un vaste cratère circulaire sur un sol de poussières et sans atmosphère.

Gassendi mesure l’ellipticité des orbites de la Terre et de la Lune
         En bon expérimentateur, Gassendi acquiert une grande maîtrise de la chambre noire. Il la perfectionne en lui ajoutant une lunette de projection sur pied équatorial et un système mobile de graduation avec deux pinnules qui « glisse sur une longue trabe (poutre) de quatre toises ». À l’aide de sa chambre noire, Gassendi observe la variation du diamètre apparent de la Lune qui décrit une orbite elliptique autour de la Terre. Gassendi montre que le diamètre apparent de la Lune varie de 26′ 36″ à 31′ 06″ entre sa position à l’apogée, la plus éloignée de la Terre, et sa position au périgée, la plus proche. Cette mesure, plus précise que celle de Képler, donne 0,86 pour le rapport entre le petit axe et le grand axe de l’orbite lunaire (on admet aujourd’hui 0,88). Par la même technique, Gassendi montre que le diamètre apparent du Soleil varie très peu, entre 30′ 12″ et 31′ 06″. Il conclut à juste raison que l’orbite de la Terre autour du Soleil est quasiment circulaire. Il trouve 0,97 pour le rapport des axes (on admet aujourd’hui 0,99).

Gassendi défend Galilée
         Peiresc et Gassendi ne cachent jamais leur point de vue favorable au système héliocentrique enseigné par Galilée. Gassendi, d’une famille pauvre, prêtre soumis à la hiérarchie catholique, chargé officiellement d’enseignement par le roi, expose les diverses théories contradictoires de Ptolémée, Tycho Brahé et Copernic sur le système solaire puis, avec beaucoup de courage, exprime sa conviction personnelle en faveur du système de Copernic-Galilée. L’attitude de Descartes reste, au contraire, une énigme. Dans son Histoire de l’astronomie, Jean-Baptiste Delambre se montre particulièrement étonné de constater que « Descartes, qui n’était ni prêtre, ni chanoine, qui vivait dans la retraite en Hollande, ait montré si peu de caractère ou même tant de timidité, dans la question du mouvement de la terre. Il faut l’avouer, dans une position beaucoup plus difficile, Gassendi a su éviter tous les écueils d’une manière à la fois plus ingénieuse et plus loyale ».
         Louis Andrieux nous rapporte la première lettre que le jeune astronome Gassendi écrivit au grand maître Galilée le 20 juillet 1625, pour l’encourager à publier ses nouveaux arguments en faveur de l’héliocentrisme : « Tout d’abord, ami Galilée, je voudrais que vous soyez bien convaincu du plaisir de l’âme avec lequel j’embrasse votre opinion en astronomie, sur le système de Copernic. Les barrières d’un monde assurément vulgaire sont brisées. L’esprit libéré erre à travers l’immmensité de l’espace. Peut-être conviendrait-il que vous publiiez votre travail. En le cachant vous feriez une grave injure aux lettres et à ceux qui s’adonnent aux sciences les plus divines…Si une résolution bien arrêtée, ou la destinée, vous imposent une réserve telle que vous ne puissiez même pas communiquer par lettre à vos amis ce que vous avez conçu, faites une exception pour moi. Laissez -moi espérer ou vous demander d’être votre correspondant ».
         Gassendi a alors lui-même l’audace, l’enthousiasme et la naïveté de la jeunesse ; il s’applique à lui-même ces beaux principes. Chargé d’enseigner la philosophie à Aix, Gassendi n’hésite pas à oser contredire Aristote alors considéré comme l’oracle, et il dénonce avec hardiesse cette philosophie péripatéticienne que les disciples d’Aristote ont surchargé d’idées ridicules et extravagantes. Les remous provoqués par ses Exercitationes paradoxicae l’incitent bientôt à plus de prudence, et dix années plus tard, quand Galilée fut traduit devant le Saint-Office pour avoir enseigné que le Soleil est le centre du monde Gassendi compatie et convie à la sérénité, celui qui n’a jamais recherché que la vérité scientifique. « Je suis dans la plus grande anxiété sur le sort qui vous attend, ô vous la plus grande gloire de notre siècle. Malgré les bruits qui circulent, j’ignore encore ce qui  a été décidé ; je ne veux rien croire jusqu’à ce que la chose soit parfaitement connue. Quoi qu’il arrive, je connais trop la modération de votre esprit pour douter que vous ne vous soumettiez à toutes les éventualités de la fortune, soit qu’elle vous soit favorable, soit qu’elle vous soit contraire. Puisqu’il ne peut rien vous arriver qui trouble la sérénité de votre âme, je me réjouis avec vous, au lieu de m’affliger. Soyez toujours vous-même, et ne permettez pas que la sagesse, qui fut toujours votre compagne, vous abandonne dans votre vénérable vieillesse. Si le Saint-Siège décide quelque chose contre votre opinion, supportez-le comme il convient à un sage. Qu’il vous suffise de vivre avec la persuasion que vous n’avez jamais cherché que la vérité « . Galilée, le 15 janvier 1633, lui répond de Florence : « Je vous en rends grâces et vous en suis obligé (…) ».
         Gassendi comme toujours pose bien le problème : « Le dessein de la Sainte Ecriture, disait-il, n’est pas de faire les hommes physiciens, ou mathématiciens, mais de les rendre pieux et religieux. Si la Sainte-Ecriture parle de la Terre comme étant au repos et du Soleil comme étant en mouvement c’est simplement parce qu’il n’y a personne à qui la Terre ne paraisse se reposer et le Soleil se mouvoir ». Gassendi considère que cette malheureuse décision de la hiérarchie catholique n’est pas un article de foi, une croyance obligatoire.

Peiresc défend Galilée
         Lors du procès Galilée, Peiresc lui écrit de nombreuses lettres. Cette correspondance a été récemment publiée par les historiens Lo Chiatto et Marconi. Peiresc compatit au sort pénible de son ami et veut le consoler. Galilée lui répond qu’il n’a d’autre solution que de se soumettre et de subir les railleries. Peiresc use alors de son influence auprès du cardinal Barberini, neveu du pape Urbain VIII, pour faire annuler la sentence et rendre sa liberté à Galilée. Voici un extrait d’une lettre de Galilée à Nicolas Fabri de Peiresc qui montre la déférence avec laquelle Galilée, pourtant plus âgé, s’adresse à son ami :

Arcetri, le 16 mars 1635

Très Illustre Monsieur et mon Maître très vénérable.
J’ai vu la première lettre écrite par votre Seigneurie Illustrissime au très Eminentissime Cardinal Barberini, et la réponse de Son Eminence, comme je vous en ai informé par une autre lettre, en vous rendant grâces autant que je le pouvais pour une faveur si insigne. J’ai par la suite vu la seconde réponse, toujours pleine de la même affection et plus grande encore, puisque vous persistez toujours avec la même ardeur à porter gaillardement des coups à une forteresse, je ne dirai pas inexpugnable, mais dont on ne voit pas qu’elle donne le moindre signe de céder sous les chocs, encore que Votre Excellence Illustrissime aille rechercher des passages très efficaces, propres à éveiller la pitié et à adoucir la colère […] De ma maison de campagne d’Arcetri

Très dévoué et très obligé serviteur Galileo Galilei


         La démarche échoue mais les Provençaux peuvent être fiers de l’indépendance d’esprit manifestée par Peiresc et par Gassendi en cette période d’Inquisition. Trente ans auparavant, Giordano Bruno avait été brûlé pour avoir défendu la même thèse. Désormais, le même sort ne peut plus échoir à Galilée. La France, avec Henri IV et Louis XIII, a montré sa puissance face au Saint-Empire Germanique et à l’Espagne. Le pape a perdu sa prépondérance en Europe.

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