Une communauté universitaire belge contribue fortement à la renaissance de Peyresq dans les années 50. Depuis, le village ne cesse de rayonner dans les plus hautes sphères de l’intelligence scientifique.
Au bout d’une petite route étroite, après 4 kilomètres d’un trajet incertain, Georges Lambeau, Directeur de l’Académie des Beaux-Arts de Namur, dé- couvre le village de Peyresq. Quelques habitants y résident encore, dont le Maire Joseph Imbert, sa femme et sa fille. La plupart des maisons sont en ruine, les habitants sont descendus dans la vallée pour trouver du travail et ne remontent au village que l’été. A son arrivée, Georges Lambeau a le coup de foudre. Il est en admiration devant ce village, son église romane du XIIIème siècle, ses maisons tout en pierre, ses toitures en bardeaux de Mélèze, la vue exceptionnelle sur la vallée de la Vaïre… De retour en Belgique, il entraîne un de ses proches amis, Toine Smets, dans un projet fou : faire de Peyresq un foyer d’humanisme international où se retrouveraient artistes et scientifiques. Démarre alors une incroyable épopée qui va faire de Peyresq un village au rayonnement planétaire.
Pour soutenir et coordonner leur projet Georges Lambeau et Toine Smets créent une association Belge, encore active aujourd’hui, l’ASBL “Pro Peyresq”. Un jeune architecte belge fraîchement diplômé, Pierre Lamby, et un jeune entrepreneur local, René Simon, rejoignent l’équipe dans la foulée, enthousiasmés par le projet belge. Puis Georges et Toine persuadent le monde universitaire bruxellois de s’associer à la reconstruction en achetant une partie des ruines. En 1956, l’eau et l’électricité arrivent enfin, des égouts sont installés, la route départementale est goudronnée. Commence alors des années de labeur qui vont voir débarquer des centaines d’étudiants dans le village pour assister les professionnels locaux. Pierre après pierre, sous la férule de l’architecte et les conseils du professionnel René Simon et son équipe, Peyresq retrouve ses couleurs d’antan, dans le respect des architectures mon tagnar des. Les techniques anciennes de con struc tion sont rigoureusement respectées, donnant au village son caractère si particulier. De cet incroyable chantier qui dura plus de 30 ans, vint la reconnaissance en 1971, lorsque les Monuments Historiques firent du village un site classé à l’inventaire du Patrimoine. Puis en 1980, Peyresq remporte le second prix parmi 500 dossiers du concours “Chefs-d’œuvre en péril”, organisé par Antenne 2 et les ministères de la Culture et de l’Environnement. La même année, le village reçoit la médaille d’or “Europa Nostra” pour l’œuvre de reconstruction en Centre de rencontres internationales et Université d’Eté. Petit à petit, quelques propriétaires français de maisons peyrescannes reviennent au village et rénovent à leur tour leur patrimoine. Bientôt, tout le village est reconstruit, paré pour une nouvelle vie. La plupart des maisons seront baptisées des noms de grands humanistes : Archimède, Darwin, Erasme, Gassendi, Mistral, Rops…
Universitaires dans l’âme, les fondateurs n’arrêtent pas leur projet à la seule reconstruction du village. Tant d’efforts passés à le rebâtir devaient trouver une issue louable au service des idées, comme le fit l’un de ses plus illustres propriétaires, le seigneur Nicolas-Claude Fabri de Peiresc en 1604. Avec la rénovation, c’est toute une infrastructure d’accueil de colloques qui s’est montée avec salles de conférence, restaurant, bibliothèque, observatoire, musée, espaces de détente, hébergement, l’ensemble parfaitement équipé des dernières technologies. En 1980, Peyresq accueille un des plus grands colloques de Physique, organisé par la Fondation Louis de Broglie. 27 éminents spécialistes mondiaux partagent le fruit de leur recherche dans un esprit d’ouverture et de collaboration qui les enthousiasme tous. Georges Lochak, le directeur de la Fondation, dira de Peyresq “… une certaine magie des lieux s’établit entre les différentes personnes, comme entre chacune d’entre elles et le village, créée une complicité et des liens qui ne se défont jamais”. Puis botanistes, écologistes, zoologistes, physiciens, mathématiciens, cosmologues, géographes, historiens, philosophes, artistes, se succèdent à Peyresq. Des personnalités mondialement reconnues viennent y retrouver l’élite de chaque discipline. A chaque colloque, c’est une vingtaine de nationalités qui se côtoient dans un esprit studieux et productif. Les thèmes abordés témoignent de la densité de la réflexion : Principes fondamentaux de la philosophie naturelle, Avancées méthodologiques récentes dans les calculs dynamiques, Optique et interférométrie atomiques, Mécanique quantique, Cosmologie et univers primordial, Phénomènes non linéaires, etc… Et toujours le même enthousiasme des participants qui ne tarissent pas d’éloges pour cet étonnant fleuron de la réflexion. “Ce lieu, loin de l’agitation habituelle, nous fait vivre hors du temps… La richesse des contacts scientifiques dépasse largement ce qui se produit dans d’autres colloques…” dira le professeur Edgar Gunzig lors du colloque de 1996 sur les Problèmes actuels en mécanique quantique.
La culture n’est pas oubliée. Dans ce lieu privilégié qui développe l’esprit créatif, tous les mouvements culturels s’y expriment dans le plus pur esprit humaniste. Ainsi, l’ASBL Nicolas-Claude Fabri de Peiresc réunit chaque année des artistes de toutes nationalités confondues pour des stages de musique baroque, d’art dramatique, de sculpture monumentale, ou de chant choral. L’association Peyresq Centre d’Art International organise, pour sa part, des rencontres pluridisciplinaires qui appellent la confrontation entre art et science, et provoquent l’échange entre physiciens, botanistes, géologues, artistes, photographes, poètes, peintres ou sculpteurs. Elle devra permettre aux artistes de poser un regard averti sur l’infiniment petit et l’infiniment grand des paysages.
Personne ne pourra rester indifférent devant cet étonnant village au destin magique. Les innombrables recherches intellectuelles et culturelles que produit ce foyer d’humanisme réjouiront tout visiteur. Là-bas, tout transpire le partage et le respect, la réflexion et la simplicité, l’humanisme et la convivialité.
par Pierre Durieux (“Echos du Mercantour”, 2009)