CONFERENCES "GRAND PUBLIC"
La vie passionnée d'une institutrice bas-alpine : Maria Borrély, 1906+1936
Le petit monde provençal de Paul Cézanne
La Science-Fiction ou l'histoire du meveilleux scientifique
Maria Borrély, romancière bas-alpine des plateaux et des montagnes
Avez-vous peur des mathématiques ?
 

La vie passionnée d'une institutrice bas-alpine : Maria Borrély, 1906-1936

Conférenciers :

Jean-Claude Castex et Nicole Dhombres

Lieu :

Villars-Colmars, salle polyvalente

Date :

4 août 2010

Compte rendu :

Une conférence le 4 août 2010 à Villars-Colmars à 18h a eu lieu dans la jolie salle polyvalente, équipée d’un grand écran qui permet avec PowerPoint la projection des nombreux documents que les deux conférenciers, Jean-Claude Castex et Nicole Dhombres, avaient sélectionnés pour rendre aussi attrayante que possible l’approche de cette personnalité peu connue du public bas-alpin.
La première partie de l’exposé nous emmène à l’Ecole normale et dans la ville de Digne, où Maria se forme comme institutrice à partir de la rentrée 1906, puis dans les différents postes qu’elle a occupés, en particulier les premiers, dans les montagnes bas-alpines les plus reculées ; de nombreuses cartes postales datant du début du vingtième siècle, et qui font partie de la collection personnelle du conférencier, fournissent un support à la fois dépaysant dans le temps et très concret pour comprendre le nouveau métier d’instituteur conçu par Jules Ferry. Un instituteur, en l’occurrence une institutrice qui est en même temps missionnaire des valeurs républicaines et chargée de diffuser le savoir de son époque.
La deuxième partie s’attache à la personnalité de Maria Borrély, un tempérament de feu qui se donnera à trois passions, la littérature, la pédagogie, et la politique. La conférencière ne s’intéresse qu’à cette dernière, mais un colloque ayant eu lieu en juin à Peyresq même évoqua d’autres aspects de la vie de Maria Borrély. Nicole Dhombres montre que l’engagement de Maria en politique et à gauche se déroule dans un contexte historique où les idéaux sont extrêmement forts : le pacifisme avant la guerre de 1914, le socialisme et le communisme après, le féminisme enfin. Pour Maria, et dans les postes successifs qu’elle occupe dans une carrière où comme son mari Ernest elle ne quittera jamais les Basses-Alpes, l’engagement est passionné et total. Il passe concrètement par le syndicalisme enseignant local.
Plus dure sera la chute : la dictature stalinienne, la montée des idéologies fascistes, la grande crise économique de 1929, tout ceci bouleverse Maria au point de la plonger dans une grave dépression. Laquelle explique la fin prématurée de sa carrière en 1936.
Une femme exceptionnelle, habitée par l’amour du Peuple, animée par la foi en l’avenir d’une humanité plus juste (notamment à l’égard de la femme), et qui, pourtant anticléricale, défend des valeurs proches d’un christianisme authentique.
Jean-Claude Castex et Nicole Dhombres

Le petit monde provençal de Paul Cézanne

Conférencier :

Jean-Baptiste Pisano, enseignant l'histoire de l'art à l'université de Nice

Lieu :

Annot, Campus Européen Platon

Date :

12 août 2010

Compte rendu :

Cézanne de la nature à l’art et de l’art de la nature

Si la première grande exposition que lui consacre son marchand Ambroise Vollard (1), le révélant en 1895 à ses contemporains, est parisienne, Cézanne, à l’instar d’un Gauguin ou d’un Van Gogh n’aura de cesse de se retirer vers une périphérie qui puisse le placer en des lieux porteurs de significations et d’émotions où le sujet d’étude devient, par la grâce de son génie, le motif de son tableau.
Son choix, influencé par Camille Pissarro (2), de devenir un peintre de paysage, attaché principalement à la représentation du pays d’Aix, lui offre paradoxalement l’occasion de dépasser les conventions picturales qui enfermaient la nature provençale dans une conception banale et simplement monumentale.(3)
De la même façon qu’il s’agisse du quotidien prosaïque des paysans, de la méditation silencieuse des figures féminines, son réalisme le dispute à l’idéal…
Ainsi, portraits, autoportraits, paysages, traversés d’un chemin, ombrés d’arbres tordus, où s’expriment l’ordonnancement du domaine du Jas de Bouffan, ou l’amplitude de l’espace que la mer ne peut clore à l’Estaque… nous offrent matière à appréhender le monde provençal de Cézanne. Ce lieu où, solitaire, il s’affronte, aux hommes, aux choses et à la nature s’essayant à traduire dans son œuvre un regard qui au-delà de l’anecdotique s’attache à révéler l’universalité de chaque chose.
A l’articulation d’une observation obsessionnelle de la nature, du sujet et du modèle, et sa transposition en peinture, Cézanne invente un vocabulaire et des moyens picturaux qui sont propres à sa peinture (4). En particulier le “non fini“ de la peinture de Cézanne aura été reconnu comme essentiel dans l'impact qui est le sien sur l'art du XXe siècle (5). Ce non peint, appelé parfois “blancs suspensifs” et qui pourrait être appréhendé seulement comme un manqué se doit d’être apprécié tel une absence de sonorité dans la musique de Thelonious Monk, ou comme une syncope qui fait le silence des récits d’Antonioni.

Le lieu clos de la demeure familiale lui avait donné la possibilité de maîtriser une nouvelle technique, en vue d’une peinture apaisée.
Par la suite, afin de renouveler son regard sur le paysage provençal, il passe à l’étendue ouverte, maritime de l’Estaque, jusqu’à l’étape ultime de la Sainte-Victoire.
La citation célèbre de Braque selon laquelle “Il ne faut pas imiter ce qu’on veut créer. Ecrire n’est pas décrire, peindre n’est pas dépeindre.”, marque en quelque sorte la reconnaissance des plus grands.
Reconnaissance longue à venir. Qui sera d’abord le fait de jeunes peintres comme Emile Bernard ou Maurice Denis (6) qui peint en 1900 L’Hommage à Cézanne (7), lesquels virent en lui un maître autant qu’un précurseur.
La Provence offre matière à Paul Cézanne de tendre vers la “vérité en peinture” (8). Elle est, comme champ d’expérience du peintre, le lieu où la représentation des hommes aussi bien que celle de la nature, lui permet d’exprimer les tensions entre véracité directe et conscience sensorielle.
Des hommes et des lieux. Les Baigneurs et la Sainte Victoire, ces deux icônes, deux références qui s’identifient à l’homme et à son œuvre, sans pour autant la résumer…
Au Jas de Bouffan où son inspiration a le caractère du familier autant que du familial, à l’Estaque où se métamorphose son regard sur le paysage, face au mirage et à la balise de la Sainte-Victoire, où l’attire la confrontation avec la distance de la montagne. Toujours il s’essaie à représenter “métaphoriquement sa vision” (9).
Une vision ou un système à la source du fauvisme, du cubisme (10), de l’abstraction… en un mot de la modernité.

Jean-Baptiste Pisano

Portrait d’Ambroise Vollard

1 La première rencontre du peintre et de son marchand n’aura lieu qu’un an plus tard, au printemps 1896 où Vollard se rend à Aix. Jusque là il n’avait eu affaire qu’au fils de Cézanne. Cf. Portrait d’Ambroise Vollard, 1899, Huile sur toile, 100x81, Paris, Musée du Petit-Palais.
2 Dont il fait la connaissance à l’Académie Suisse en 1861 ou 1862. Néanmoins la suggestion de peindre à l’extérieur pourrait ne pas être antérieure à 1865, année à partir de laquelle ils établissent des contacts réguliers.
3 P. Cros, La Provence des peintres, Citadelles et Mazenod, 2008.
4 Un point de vue stimulant sur le rapport entre nature et peinture dans, Michel Pouille, La nature en peinture, Cézanne et l’art moderne, un point de vue topologique, Chambéry, 1998.
5 Lionello Venturi, pense que le peintre a volontairement laissé inachevé ce tableau. Madame Cézanne dans la serre, (dans le jardin d’hiver) vers 1890, Huile sur toile, 92x73 cm Collection Stephen Clark, Metropolitan Museum of Art, New York. “C'est à ce prix seulement que Cézanne a pu réaliser un effet de grâce et d'élégance et se laisser gagner par la beauté extérieure sans rien perdre de sa force”, dans Lionello Venturi, Cézanne sa vie, ses œuvres, op. cit. (cat.), 1969.
6 Maurice Denis est d’ailleurs l’un des derniers à avoir rencontré Cézanne lors d’un voyage en Provence avec Kerr-Xavier Roussel à la fin du mois de janvier 1906.
7 Maurice Denis, Hommage à Cézanne, 1900, Huile sur toile, 180x240, Musée d'Orsay, Paris, don d’André Gide.
8 Lettre à Bernard du 23 octobre 1905. La correspondance avec Emile Bernard a fait l’objet de nombreuses publications, en particulier dans, Emile Bernard, Souvenir sur Paul Cézanne et lettres, Paris, 1925.
9 Richard Shiff, “Cézanne’s physicality : he politics of touch” dans The langage of Art History, édition Salim Kemall et Ivan Gaskell, Cambridge, 1991.
10 Cette influence fait l’objet de l’exposition, Cézanne, Aufbruch in die Moderne, Catalogue d’exposition, Folkwang Museum, Essen, 2005.
Madame Cézanne dans la serre

La Science-Fiction ou l'histoire du merveilleux scientifique

Conférencier :

Ugo Bellagamba, enseignant la littérature à l'université de Nice

Lieu :

Thorame-Basse, salle polyvalente

Date :

19 août 2010

Compte rendu :

Le merveilleux qui naît de la science se développe au XVIIème siècle, lorsque se multiplient les nouvelles techniques appliquées à la guerre et à l'économie marchande : la balistique, les mathématiques, la géographie. C'est aussi l'époque des premières utopies scientifiques, où la science vient fonder la cité idéale : c'est le cas de la Nouvelle Atlantide (1627) de Francis Bacon, ou du Palais d'Uranie de l'astronome Tycho Brahé, bâti sur une île-laboratoire. Au XVIIIème siècle, la science semble devenir la clef des futurs radieux, même si ceux-ci s'inscrivent encore assez largement sous l'angle de la satire du présent, comme dans l'An 2440, rêve s'il en fut jamais (1771) de Louis-Sébastien Mercier. Mais, c'est surtout au XIXème siècle que s'épanouit le merveilleux scientifique, en France et en Angleterre surtout.

En France, les frères Goncourt, visionnaires, sont les premiers à identifier le potentiel novateur du “roman scientifique” dès 1856 : “Quelque chose que la critique n'a pas vu, les signes de la littérature du XXème siècle. Le miraculeux scientifique, la fable par A plus B (...) la base du roman déplacée et transportée du coeur à la tête et de la passion à l'idée : du drame à la solution” (1). Il faut évoquer Jules Verne, avant tout. Il s'emploie à mettre en scène les nouveautés de la science, alors que l'esprit public n'y est pas accoutumé, et il en fait la source d'un émerveillement d'un nouveau type, rationnel, lumineux, positif. Jules Verne sépare le merveilleux du mystérieux. La vapeur et l'électricité, forces motrices de son époque, sont magnifiées dans des rêves extraordinaires qui ne sacrifient pas à la vraisemblance scientifique. À la suite de Jules Verne, nombreux seront les auteurs français, ou francophones, à tenter d'intégrer de la science merveilleuse dans le roman. On peut citer Camille Flammarion et ses Récits de l'Infini (1872), Didier de Chousy avec Ignis (1883), Villiers-de-l'Isle-Adam et son Eve future (1886), Albert Robida pour l'Horloge des Siècles (1901), Alfred Jarry, qui avait sous-titré Le surmâle (1901) “roman néoscientifique”, Jean de La Hire et La roue fulgurante (1907), sans oublier le Le Prisonnier de la planète Mars (1908) de Gustave Lerouge, qui croit que la téléphatie est une science. Il y a surtout J. H. Rosny Aîné. Son “merveilleux scientifique” se situe à l'opposé de celui de Jules Verne : alors que le Nantais demeure fermement ancré dans le présent, le Bruxellois investit les territoires du temps et se mêle de spéculation préhistorique, ou donne corps à des futurs hypothétiques, avec Les Xipéhuz (1887), La Guerre du Feu (1911), La Mort de la Terre (1910), et, le plus tardif mais très connu, Les navigateurs de l'Infini (1925). Le “merveilleux-scientifique” est tardivement défini par le français Maurice Renard dans un article de 1909 : “admettre comme certitudes des hypothèses scientifiques (...) prêter certaines propriétés d'une [notion] à l'autre (...) appliquer des méthodes d'exploration scientifique à des objets, des êtres ou de phénomènes crées dans l'inconnu par des moyens rationnels d'analogie et de calcul, avec des présomptions logiques”. Des textes tels que le Docteur Lerne, sous-dieu (1908), Le voyage immobile (1909), ou Le Péril bleu (1912), montrent que Renard ne s'est pas contenté d'être le théoricien du merveilleux scientifique.

En Angleterre, le courant de merveilleux scientifique est principalement incarné par les nombreux romans, nouvelles, et essais, d'Herbert George Wells qui, dès sa nouvelle The Chronic Argonauts, publiée en 1888 dans le journal de son université, qualifie son propre travail de “scientific romance”, qu'incarnent des oeuvres aussi inoubliables que La machine à explorer le temps (1895), L'île du Docteur Moreau (1896), L'homme invisible (1897), La guerre des mondes (1898). Toutefois, Jules Verrne se désolidarise de Wells, en s'écriant “je me sers de la science, il l'invente” (2). D'autres auteurs, toutefois, contribuent à développer le merveilleux scientifique anglais. Sir Arthur Conan Doyle, père du célébrissime détective Sherlock Holmes, s'inspire des thèmes de Rosny Aîné tout en les réinterprétant, sous un angle plus spéculatif, dans The Poison Belt (1913), et narre les Aventures du professeur Challenger. Edwin Abbott, dans Flatland (1884), met en scène des carrés et des cercles dans un univers bidimensionnel, intrigués par la troisième dimension, dans une allégorie christique et platonicienne. Robert Louis Stevenson, dans son inquiétant Docteur Jekyll et Mister Hyde (1886) interroge la chimie, la biologie et la psychologie pêle-mêle. Un autre auteur anglais, immense par le talent, mais rarement convoqué en matière de merveilleux scientifique, doit être cité : Rudyard Kipling. Exact contemporain de Herbert George Wells (1866-1946), il est aussi différent du père de la cavorite, qui emmène Les premiers hommes dans la Lune (1901), que Verne peut l'être de Rosny. Moins passionné par les mondes imaginaires, peu enclin à explorer des futurs hypothétique, il s'intéresse avant tout à l'objet technique et à sa nature profonde, à la relation que l'homme, l'ingénieur, voire l'humanité peut avoir avec lui. Et il invente, littéralement, une forme bien spécifique de merveilleux scientifique à l'anglaise : l'enchantement de l'objet technique. Enfin, on pourrait évoquer ici, en guise de transition, l'œuvre marginale de Howard Philip Lovecraft (1890-1937), cet auteur “américain” de Nouvelle-Angleterre, dont les récits se fondent essentiellement sur une appréhension scientifique de l'immensité de l'Univers. Il invente en quelque sorte “l'horreur cosmologique”, négatif du merveilleux technique de Kipling, faisant appel, non à l'enchantement, mais à la peur, telle que la pratiquait aussi Edgar Allan Poe (1809-1849), père véritable d'un genre qui dépassera le merveilleux scientifique et qui trouvera aux Etats-Unis d'Amérique son creuset idéal : la science-fiction.

Le merveilleux scientifique américain, qui dominera le XXème siècle, naît d'abord sous la forme d'une revue de vulgarisation scientifique, intitulée Modern Electrics, dirigée par Hugo Gernsback (1884-1967), un émigré luxembourgeois. Celui-ci va avoir l'intuition que les merveilles de la science peuvent donner lieu à des récits épiques glorifiant les avancées technologiques du nouveau siècle tout en extrapolant les futurs qu'elles promettent. Pour diffuser ces “scientifictions”, Gernsback fonde une revue, un fanzine, qui leur sera entièrement dédié : Amazing Stories, dont le premier numéro paraît en avril 1926. L'ère des “pulps” de science-fiction vient de commencer ! Ces revues bon marché, imprimées sur de papier de mauvaise qualité, de la “pulpe” de bois, qui jaunit et s'altère vite, sont affublées de couvertures criardes, voire racoleuses (fusées étincelantes, rayons lasers, planètes en collision, robots agressifs, extraterrestres bulboïdes, et moultes héroïnes à demi-dénudées). Les récits mettant en scène des vaisseaux traversant toute la galaxie en un souffle, disputant des mondes à des empires maléfiques à grands coups de lasers, grâce à des héros invincibles accompagnés de robots de métal infrangible, vont s'y multiplier, au mépris de toute crédibilité scientifique. Beaucoup d'épopée et peu de science, au vrai. Il n'en reste que les mots, subvertis, et les images, gauchies par l'imagination débridée des auteurs. Au début des années quarante, toutefois, John W. Campbell, fonde la revue Astounding, avec la conviction que la science-fiction est capable de mieux utiliser la science, de prendre la méthode scientifique à bras-le-corps. Il découvre Robert A. Heinlein, ancien élève de l'Académie navale d'Annapolis, qui est convaincu que la science-fiction peut, grâce à l'évasion rationnelle qu'elle propose, diffuser la culture scientifique dans la jeunesse américaine et la préparer à prendre en main son futur. Heinlein livre, avec l'aide de son ami éditeur, une magistrale Histoire du Futur, qui chemine entre réalisme et utopie et fait office de propédeutique de l'âge de l'espace. Puis, l'auteur se lance dans une série de “juvenile”, romans pour la jeunesse dont tous les titres jouent la carte d'une merveilleux scientifique ambitieux, à l'opposé de celui de la première génération des “pulps”. Ainsi, pour n'en citer qu'un, Citoyen de la Galaxie (1957), qui se révèle être un hommage au Kim de Rudyard Kipling, et qui retrace l'épopée d'un jeune garçon un peu naïf, mais doté d'un solide sens pratique et d'un esprit méthodique et curieux, à travers la Galaxie, jusqu'à devenir la clef de l'avenir de plusieurs civilisations. Littéralement, Heinlein se lance dans la pédagogie du réel et, au final, réduit le merveilleux à la capacité extraordinaire de l'homme correctement éduqué, à triompher de toute forme d'adversité ou de toute difficulté technique. Faire des jeunes américains des citoyens de la galaxie, tel était son but et il y réussit largement : nombreux sont les scientifiques de la NASA, qui confessent que leur vocation professionnelle est née de leurs lectures de science-fiction.

Ugo Bellagamba

1 Jacques Goimard, Critique de la science-fiction, Presses Pocket, Paris, 2002, p. 43.
2 Serge Lehman, Hypermondes perdus, in Chasseurs de Chimères, Omnibus, Presses de la Cité, Paris, 2006, p. IX


Maria Borrély, romancière bas-alpine des plateaux et des montagnes

Conférenciers:

Isabelle Bonnet et Olivier Joseph

Lieu :

Colmars-les-Alpes, salle polyvalente

Date :

22 août 2010

Compte rendu :

Après la conférence de Nicole Dhombres et de Jean-Claude Castex, nous avons choisi de rendre sensible quelques aspects de l’œuvre littéraire de Maria Borrély grâce à deux romans dont la géographie se rattache aux lieux où elle a vécu. Du vivant de Maria, entre 1928 et 1936, quatre livres ont été publiés : Aube, Sous le vent, Le dernier feu et Les Reculas. La mémoire collective a retenu deux de ces livres, Sous le vent et Le dernier feu, qui puisent leurs racines et leur inspiration dans le plateau de Valensole et dans la vallée de l’Asse. Moins connus, Les Reculas font pénétrer le lecteur dans l’hiver de la Haute-Ubaye.
Institutrice à Puimoisson depuis 1917, Maria Borrély publie en 1930 son premier roman, Sous le Vent. Elle y raconte une histoire simple : son héroïne, Marie, se noie dans un bassin à la suite d'une déception amoureuse. Mais ce drame, somme toute ordinaire, est tissé dans l’épaisseur des bourrasques de vent qui parcourent le plateau, Marie est brisée par le mistral qui y règne en maître. Isabelle Bonnet relève et analyse les nombreuses images par lesquelles l’auteur fait sentir l’omniprésence et la force irrésistible du vent, qui modèle les paysages et travaille les consciences. Écriture vigoureuse et âpre qui a séduit Jean Giono puis André Gide, et amené l’éditeur Gallimard à signer avec Maria Borrély un contrat pour dix romans… contrat qu’elle n’honorera pas, sa vie personnelle en ayant décidé autrement.
Lorsque l’orage met à mal les cultures et laisse entrevoir un hiver difficile sur le plateau de Puimoisson, c’est vers la montagne qui barre l’horizon de sa masse imposante et le hameau des Reculas, où vit sa sœur, que Béatrix dirige ses pas. Publié en 1936, Les Reculas s’ouvre par cette singulière inversion de la géographie de la pauvreté et de la vie rude. C’est en historien des communautés montagnardes qu’Olivier Joseph lit le roman : loin du regard noir habituellement porté sur les montagnards et leurs vallées, Maria Borrély, inspirée par son expérience à Certamussat, aux Prads des Thuiles et à Saint-Paul-sur-Ubaye, écrit un roman lumineux sur une petite communauté privée de soleil trois mois durant. Là haut, les montagnes sont un pays d’abondance, de solidarité et de beauté.
Ces deux romans ont fait l’objet de récentes et belles rééditions par un éditeur régional.

Isabelle Bonnet et Olivier Joseph


Avez-vous peur des mathématiques ?

Conférencier : Jean Dhombres, Directeur d'études à l'EHESS
Lieu : St-André-les-Alpes, salle polyvalente
Date : 27 août 2010
Compte rendu :

En s’adressant à Saint-André-les-Alpes, dans le cadre des conférences organisées dans les trois vallées grâce à Peyresq Foyer d’Humanisme, et sous la houlette de l’Association Art et Culture, Jean Dhombres abordait une crainte que bien des Français expriment vis-à-vis des mathématiques. Qui n’a entendu certaines personnes qui se piquent de culture se revendiquer d’être nulles en mathématiques ! Doit-on pour autant accuser les enseignants de cette discipline ? Serait-ce juste de le faire dans un pays où la recherche dans ce domaine est internationalement reconnue ? On l’a vu encore cet été avec deux médailles Fields sur les quatre données, l’équivalent du Nobel, décernées à des Français.
La peur des mathématiques est un phénomène ancien : au fond n’y a-t-il pas une crainte face à un domaine où la pensée ne peut pas se permettre l’erreur, où la parole du discours orné ne suffit pas, et aussi la peur d’un domaine où l’on ne peut pas tricher ? Car en mathématiques, même avec l’aide d’un enseignant, c’est seul que l’on doit parvenir à maîtriser les triangles, les x ou les polynômes, les coordonnées et les fonctions, les calculs, les si subtiles notions sur les probabilités, les algorithmes, etc. Le conférencier a donc choisi pour exorciser cette crainte de donner quelques exemples qui permettent de comprendre le rôle des mathématiques dans notre appréhension du monde naturel.
Il s’est donné comme principe de faire comprendre l’arc-en-ciel ou plutôt les deux arcs que l’on doit voir dans certaines conditions, avec l’inversion de la répartition des couleurs d’un arc à l’autre. Et pour cela il suffit de considérer une goutte d’eau d’un nuage, de voir le trajet qu’un rayon rectiligne issu du Soleil peut y faire, avec deux réfractions et au moins une réflexion à l’intérieur de la goutte supposée sphérique. On mesure alors la déviation angulaire subie par ce rayon : elle s’avère ne pas dépendre de la taille de la goutte, donc de la nature du nuage. L’arc-en ciel correspond à un phénomène d’extrémum, c’est-à-dire à une situation ou une petite variation du rayon lumineux à l’entrée dans la goutte ne modifie que très peu la situation finale, en ce sens que les rayons sortants restent tous quasiment parallèles. On a bien entendu les mots abstraits, ceux qui sont prononcés en classe de mathématiques : parallèles, extremum. L’arc-en-ciel les associe concrètement pour faire le phénomène que l’on voit. On a entendu aussi que les mathématiques peuvent parler, sans perte de rigueur, d’approximations. Le plus étonnant est que si le premier arc correspond à une seule réflexion interne dans une goutte, le deuxième à deux, il est possible de prévoir d’autres arcs, pour un nombre plus grand de réflexions internes. On peut donc les prévoir, mais non les voir car l’intensité lumineuse est trop faible, sauf à réaliser des expériences dans un laboratoire. C’est cela une des forces des mathématiques : prévoir. Et cela n’a rien à voir avec l’astrologie, ce savoir menteur.
Le conférencier a poursuivi en expliquant la forme d’un jet d’eau lorsque le bec de sortie du jet est oblique, et montré que la forme parabolique est aisément contrôlable grâce à une propriété des tangentes à cette courbe. Qui n’aurait envie alors d’en savoir plus ! C’est tout à fait possible, à condition de se débarrasser de ce préjugé que les mathématiques ne sont faites que pour certains esprits.

Jean Dhombres