COLLOQUES
Changements locaux, changements globaux
     Quatre siècles d'interactions
     Quatre siècles de perceptions
1604-2004 : Autour de Nicolas-Claude Fabri de Peiresc
 
Changements locaux, changements globaux
    Quatre siècles d'interactions
    Quatre siècles de perceptions
 

Organisation :

ASBL Nicolas-Claude Fabri de Peiresc

Coordination :

Michel Hermand

Dates :

8 au 11 juillet 2004

Participants :

Michel Hermand, Pierre de Maret, Jean et Nicole Dhombres, Pierre Lamby, Michel Goris, Sabine Lütkemeier, Marie-Françoise Godard, Mireille Deconinck, José Vandervoorde, Alain Collard, Jacques Kummer.

Auditeurs :

Jean et Monique Lejoly, Mercédès Lamby, Mme Goris.

Pierre de Maret, Recteur de l'Université Libre de Bruxelles
Table ronde
 
Compte rendu :
 
A l'époque où nous vivons, il nous a semblé utile de nous intéresser de plus près à la notion de changement qui présente de nombreuses facettes : aspect spatial et temporel (mais faut-il faire la distinction ?), interaction entre le local et le global (le « glocal », selon un agréable néologisme) , changements progressifs ou brutaux, perception par l'homme et influence sur son comportement.
Durant trois jours, d'éminents spécialistes de toutes disciplines ont tour à tour pris la parole afin d'exposer à l'assemblée leur expérience du changement dans leur domaine de prédilection, afin d'ensemencer &endash; avec succès ! &endash; les discussions subséquentes. Nous avons ainsi entendu traiter des sujets allant des mythes fondateurs à l'évolution de la modélisation en matière de construction navale...
Ces communications ont suscité de nombreux développements, de nombreuses réflexions.
De manière non exhaustive et dans le désordre, ont été abordés la différence entre changement et rupture, la crainte du changement mise en parallèle avec le principe de précaution, la prise de conscience progressive de l'influence de l'environnement sur l'homme (et réciproquement...), le tournant profond qu'a subi le monde à la fin du XVIIIè, l'explosion de la quantité et de la rapidité de transmission de l'information, les changements climatiques (bien sûr !), la notion de progrès qui semble correspondre à un changement positivé, les limites entre changements et utopie,...
Chacun de ces thèmes a donné lieu à de passionnants échanges rendus particulièrement riches par la diversité des disciplines présentes et le très haut niveau d'érudition des intervenants.
Les participants se sont quittés heureux d'avoir pendant ces trois jours pu mener une réflexion collective inenvisageable en temps normal et avec le sentiment d'avoir encore plein de choses à dire, ce qui est la meilleure preuve d'un succès qui nous permet d'envisager sereinement une nouvelle activité du même type.
 

Michel Hermand

Université Libre de Bruxelles


1604-2004 : Autour de Nicolas-Claude Fabri de Peiresc
 

Organisation :

ASBL Nicolas-Claude Fabri de Peiresc

Coordination :

Mady Smets et Jean Dhombres

Dates :

26 au 30 août 2004

Participants :

Anna Maria Raugei, Agnès Bresson, Sabine de Crest, Nicole Dhombres, Brigitte Van Wymeeersch, Louise Sgaravizzi-Navello, Jérôme Delatour, Luigi Sensi, Olivier Thill, Guy Lassine, Jean Dhombres, Alain Schnapp, Didier Ferrier et Gaston Godard.

Auditeurs :

Mady Smets, Georges et Michou Lochak, Jean et Monique Lejoly, Michel Hermand, Edgar Gunzig, Jean-Paul Capron, Delphine Dhombres, et des Peyrescans.

Le cabinet Peiresc à Peyresq (30 août 2004)
N°12 : Sculpture d'Adrien Versaen
 
Compte rendu :
 
Quatorze intervenants, représentant trois nationalités, ont animé du 26 août au 30 août 2004, au village de Peyresq, le colloque autour de l'Humaniste Peiresc, organisé à l'occasion du 400ème anniversaire de l'attribution à Peiresc de la seigneurie de Peiresc (Alpes de Haute-Provence).
Une très intéressante conférence grand public, donnée au Campus Platon à Annot, a attiré une audience d'autant plus nombreuse et concernée qu'il s'agissait de parler de Peiresc géologue, un sujet tout à fait inédit et passionnant, dans une ville qui possède un musée de la géologie et s'enorgueillit des fameux grès d'Annot.
Les participants du colloque se sont aperçus au fil des interventions qu'ils bénéficiaient, comme par une influence venue d'il y a quatre siècles, de l'esprit de courtoisie et de curiosité de Peiresc lui-même.
Les études autour de Peiresc semblent ainsi renouvelées. D'abord par les nouveaux sujets traités, la géologie, la politique, le droit, les images scientifiques. Mais aussi par une approche plus exigeante, tenant compte de recherches érudites nouvelles, sur la musique, l'archéologie et le sens du passé, la collection antiquaire, la philologie, les lieux de la curiosité parisienne, les liens italiens, ou les circonstances provençales. A des spécialistes anciens et reconnus de Peiresc, sont venus s'associer de nouveaux provenant d'horizons intellectuels variés.
Les Actes de ce colloque seront bientôt réunis et publiés dans la revue Sciences et Techniques en Perspective, éditée par Brepols.
La liste des interventions fournie ci-dessous ne témoigne pas assez du plaisir pris à discuter toutes les anecdotes sur Peiresc, telles qu'organisées dans la Vie de Peiresc par Pierre Gassendi, et de la mise en commun d'un savoir multiforme qui fut la marque même de Peiresc.
La "douce conversation" qu'il permit, ne perd aucune des exigences académiques, et le "siècle de Peiresc", le premier dix-septième siècle, résonne encore de bruits, d'espoirs, et de confusions, qui peuvent venir jusqu'à notre époque.
En juillet, toujours à Peyresq, un colloque consacré aux changements et à ses perceptions, avait évoqué ces permanences. C'est certainement le "vouloir savoir" de Peiresc, une libido sciendi qui a animé également une conférence grand public, donnée, en août au village de Peyresq sur l'origine du monde, et les problèmes de la cosmologie actuelle. N'oublions pas que Peiresc observa quelques jours après Galilée, en 1610, les satellites de Jupiter dont la présence suggérait une complète transformation de la représentation du monde céleste.
Le monde qui a la sensibilité littéraire et le monde scientifique n'étaient, à cette époque, pas encore séparés : le colloque sur l'Humaniste Peiresc de cet été a pu montrer qu'il était encore possible de les faire dialoguer.
 

Jean Dhombres

Directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris

Aperçu des diverses interventions
(Notes d'un auditeur, Jean-Paul Capron, empreintes des inévitables défauts de contraction inhérents à cet exercice ; elles sont un aperçu de la diversité des communications)
 
En cette année du quatrième centenaire de l'accession de Nicolas-Claude Fabri à la co-seigneurie de Peiresc, année 1604 à partir de laquelle il signa "Monsieur de Peiresc", le colloque qui réunit à Peyresq du 26 au 29 août 2004 un panel multidisciplinaire de chercheurs et de spécialistes du 17ème siècle, brossa un tableau foisonnant et diversifié de la vie de Monsieur de Peiresc lors d'une époque-charnière entre le Moyen-Age et les 18-19-20ème siècles.
 
En quelques décennies, la France et l'Europe changèrent fondamentalement, inspirées par un courant humaniste au sein duquel Monsieur de Peiresc joua un rôle-clé, à côté de Pinelli, Scaliger, les frères Dupuy, Rubens, Bossuet, Juste Lipse, Malherbe, Adolphe Occon, Marc Welzer, Galilée, Kepler…, en une époque marquée par Henri IV et Sully, Elisabeth I, Louis XIII et Richelieu, la Guerre de Trente Ans, le Concile de Trente, l'Édit de Nantes. En ces quelques décennies, le pouvoir des religieux passa aux mains de parlementaires, médecins, antiquaires, mécènes pour se transformer dans l'absolutisme avec l'avènement de Louis XIV dans la seconde moitié du 17ème siècle.
Une vraie conscience européenne existait, une intense circulation des idées la soutenait, une respiration de l'Histoire se manifesta en cette première moitié du 17ème siècle, le souffle de Monsieur de Peiresc y étant prépondérant.
L'Histoire lui rendit bien mal sa notoriété européenne et son charisme humaniste en le jetant dans l'oubli…ou presque.
 
 
Ce sont ces aspects historiques, philologiques, politiques, et scientifiques, qui furent abordés par les quatorze conférenciers du colloque, sous un beau soleil d'août.
 
Anna Maria RAUGEI (Université de Pise) aborda les trois dernières décennies du 16ème siècle à travers la correspondance entre les érudits Gian Vincenzo Pinelli (1535-1601) et Claude Dupuis (1545-1594), correspondance comportant 163 lettres abordant trois thèmes principaux :
- les livres (où, comment se les procurer, leur prix,…),
- la critique littéraire et la philologie qui explore le secret du texte,
- la botanique.
Cette correspondance fait aussi largement allusion à Joseph-Juste Scaliger, philologue, que Pinelli considérait avec perplexité pour la grande liberté qu'il prenait avec les auteurs antiques.
 
Jérôme DELATOUR (Institut National d'Histoire de l'Art) présenta ensuite ses travaux sur le Cabinet des Frères Pierre (1582-1651) et Jacques (1591-1656) Dupuy qui, après avoir secondé de nombreuses années Jacques Auguste de Thou, animèrent une "assemblée politique" quotidienne à partir de 1620.
Fondée sur la pensée politique de de Thou, selon laquelle la stabilité politique résulte du dévoilement de la vérité par la liberté de parole et l'exaltation de l'art de la "douce conversation", le Cabinet comptait une vingtaine de sièges occupés chaque jour par des hommes illustres, des diplomates, des parlementaires, des érudits (mais pas de femmes ou d'artistes), débattant politique, soutenant la langue française, jugeant les lettres, encourageant les publications, développant un réseau européen de correspondance, apportant assistance logistique à ses membres ou à ceux qui lui étaient confiés.
 
Agnès BRESSON (CNRS, Paris) nous entretint ensuite de "Deux antiquaires augsbourgeois : Marc Welzer (1558-1614) et Adolpho Occon (1524-1606)".
Augsbourg (troisième ville romaine d'Allemagne, après Trèves et Cologne) comptait quelques érudits qui correspondirent intensément avec Peiresc. Il les rencontra à Rome au jubilé de 1600, après avoir fait halte à Padoue chez Pinelli. Adolphe Occon, médecin, helléniste, numismate avait publié un traité de numismatique (réédité en 1601), tandis que Marc Welzer, patricien urbain de Augsbourg, fonda une maison d'édition "Ad Signe Pinus" qui diffusa de nombreux ouvrages de 1594 à 1614.
 
Luigi SENSI (archéologue de l'Université de Pérouse) présenta "Natalizio Benedetti de Foligno et ses collections". Faite en italien, cette intervention très ciblée sur des collections et l'architecture à Foligno, me fut difficile à suivre sans connaissance de l'italien. Il conviendra de se référer aux actes du colloque pour mieux appréhender le contenu de cette communication.
 
Le lendemain, Olivier THILL nous fit part de ses recherches à propos de "Peiresc, neveu du conseiller Claude de Callas".
Après l'arrière-grand-père et le grand-père Nicolas, la charge de parlementaire (héréditaire) échut à l'oncle Claude de Callas, frère du père de Peiresc, qui la transmit à Peiresc en 1606. Ensuite elle fut transmise au fils de Palamède, frère de Peiresc.
Jusqu'en 1604, Peiresc se fit appeler indistinctement Nicolas-Claude de Fabri ou Nicolas-Claude de Callas, optant alors définitivement pour Nicolas-Claude de Peiresc ou Monsieur de Peiresc.
Historiquement, le premier Parlement fut fondé par Philippe le Bel, à Paris, d'autres Parlements locaux étant fondés par Louis XII suite aux annexions et élargissements de la France.
Le Parlement était devenu une cour de justice qui réglait des conflits entre seigneurs, le brigandage relevant des sénéchaux et baillis locaux. Le parlementaire était un juriste, docteur en droit civil et catholique qui ne siégeait qu'une partie de l'année au Parlement qui se trouvait à Aix-en-Provence. Le Parlement reprit ainsi le pouvoir juridique aux chanoines qui ne s'occupèrent que d'affaires religieuses.
 
Ensuite, Louisette SGARAVIZZI (historienne, docteur en langue occitane) présenta ses recherches à propos de la "Seigneurie de Peyresq" abordant l'organisation de la collectivité villageoise peyrescane, son évolution, son mode de vie et son déclin aux 19 et 20ème siècles, la population passant de 250 âmes à rien.
A l'époque de Peiresc, l'assemblée des habitants du village (40-45 chefs de famille) élisait un baile (représentant auprès du seigneur), deux consuls, quatre auditeurs aux comptes et un greffier, ainsi qu'un trésorier qui avançait l'argent dû par la collectivité et se remboursait (avec intérêt) après les moissons.
Le seigneur désignait pour sa part un rentier pour le représenter au village (probablement un Bertrandy vers 1635, vue la première apparition du nom à l'inventaire de Peyresq de 1640), celui-ci résidant dans la maison seigneuriale.
 
Jeu Dhombres
 
Jean DHOMBRES (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) aborda ensuite "les images de sciences en 1604".
Centré sur les observations de Monsieur de Peiresc, mais aussi celles de Galilée et Kepler, il montra que Peiresc, mieux que Galilée, représenta la Lune telle qu'elle est, quoique sans entrer dans la cartographie du canevas cartésien, et sans finalité explicative. Peiresc développe une forme observationnelle de l'astronomie, en précurseur d'une méthodologie scientifique rigoureuse visant à collecter et recouper les observations.
La sélénographie de Peiresc est remarquable en ce qu'elle fut commandée à un artiste, surveillé par des scientifiques comme Gassendi. Sa disponibilité fit progresser les connaissances géographiques, et par exemple donné une longueur bien inférieure à la Méditerranée que celle auparavant admise.
Les observations des satellites de Jupiter et leur report sur un papier quadrillé, avec la forme périodique, montre l'excellence de cette forme observationnelle de l'approche scientifique de Peiresc.
Abondamment illustrée par des documents de la main de Peiresc, cette intervention fut remarquable.
 
Sabine du CREST (Université de Bordeaux) nous entretint de "l'exotisme vu de la Provence au temps de Peiresc".
L'intérêt pour les pays lointains est vif au 17ème siècle parce que des voyageurs y vont mais surtout en reviennent en rapportant des cartes, des vases, des idoles bouddhiques ou japonaises…appelés "exotica", mais aussi des "animalia", c'est-à-dire des animaux (lézards,…).
Grâce à ses correspondants, Peiresc possède des exotica dans son cabinet où il a installé une carte du monde (de Plantin) et une horloge donnant les heures d'Aix, de Rome et de Bagdad. Peiresc envoie de par le monde des "mémoires", questionnaires relatifs à de nombreuses questions astronomiques, naturalistes, géologiques,… .
 
Plus tard, Brigitte VAN WYMEERSCH (FNRS/UCL) présenta une communication sur "la musique au temps de Peiresc".
Par l'étude de la correspondance de Peiresc, elle montra clairement les qualités de mélomane de Peiresc, mais encore ses qualités de collecteur et de connaisseur.
Fin 16ème, début 17ème, la nouvelle musique italienne, néo-platonicienne, se développe dans des camerata musicales. On y crée des madrigaux (mise en musique de poèmes de Pétrarque) qui, plus courts, préfigurent les opéras.
En 1600 Peiresc entend cette musique italienne à Florence à l'occasion du mariage du roi très chrétien Henri avec Marie de Médicis. Il en apprécie en mélomane l'intelligibilité des paroles, la délectation des spectateurs. Son écoute est remarquablement active et influence définitivement son goût pour l'opéra.
Dans sa correspondance avec Marin Mersenne (le plus grand théoricien de la musique à cette époque), il apparaît clairement que ce dernier ne comprend pas la nouveauté de cette musique italienne, louant la musique française, scandée à l'antique, empesée. Peiresc obtient des partitions qu'il transmet à Mersenne, en vain.
Mécène de Mersenne et de son Harmonie universelle, un traité encyclopédique, Peiresc sera utilisé par Mersenne comme collecteur d'informations. Ainsi, Peiresc recherche de l'information pour Mersenne (au sujet des timbales de Provence, pour des manuscrits arabes de musique qu'il fait traduire en Egypte même, à propos de chants de mosquée) et démontre des talents d'ethnomusicologue. Peiresc fit aussi des expériences sur la résonance et la vibration par sympathie des cordes, Mersenne ne le considérant toujours pas comme interlocuteur valable pour débattre de ces sujets.
 
Nicole DHOMBRES (historienne) aborda ensuite "1604 : Peiresc, le politique - Peiresc, l'Européen"
Son propos fut d'abord de restituer le contexte historique.
D'une part, les guerres de religions en France entre catholiques (supportés par l'Espagne de Philippe II), et huguenots ensanglantèrent les années 1562-1598 ; la guerre de la Ligue secouant la France de 1584 à 1594.
D'autre part, Peiresc s'initie à la vie publique : Guillaume Du Vair, envoyé par le roi Henri IV pour présider le Parlement d'Aix, le prend sous son aile et l'emmène à Paris où Peiresc rencontre en 1604 Jacques Auguste de Thou, plus proche conseiller de Henri IV. Il s'agit d'un moment particulier pour l'Europe qui se réconcilie avec elle-même, diverse et composée d'une mosaïque de religions (en France, pacification en 1598 par l'Édit de Nantes négocié, entre autres, par J.A. de Thou).
Dès 1601, Henri IV et Elisabeth I pensaient à une Europe de la Paix, tranchant avec les politiques d'intolérance antérieures (Invincible Armada en 1588).
Pour sa part, Henri IV et Sully esquissent une communauté européenne à quinze membres, avec l'Angleterre (Elisabeth I), l'Espagne (Philippe III), l'Allemagne (Rudolf II), la Suède (Charles), le Danemark (Christian IX).
Elisabeth I décède en 1603 et Jacques I Stuart lui succède. Il avait édité en 1598-1599 deux ouvrages politiques où il s'interroge sur l'identité nationale anglaise et développe sa conception de l'autorité de l'état, du contrat roi-parlement et de la souveraineté égale de la loi et de la monarchie. Il est un roi de paix.
Venu à Paris avec Guillaume Du Vair, Peiresc se rend ensuite en Angleterre où Jacques I demande à le rencontrer. Peiresc a alors l'impression d'appartenir à une citoyenneté européenne, au cœur d'une Europe de nations souveraines unies par des liens puissants de cohésion dont Peiresc compilait aussi depuis des années les actes, les traités, … pour légitimer les nations européennes par la recherche de l'origine de leurs institutions.
Peiresc croit en une Europe judéo-chrétienne et gréco-romaine.
On peut imaginer l'entretien politique du roi et de l'érudit à propos de cet espace européen, son identité, ses forces de cohésion, une "Europe des Nations" !
1604 est aussi l'année de la conférence de Somerset House, préparatoire à la conférence de paix entre l'Angleterre et l'Espagne de Philippe III.
En 1610 Henri IV est assassiné par un fanatique religieux, ce qui mit fin à cette respiration européenne.
 
Guy LASSINE (philosophe) aborda le rôle de Peiresc en cette époque d'inquisition, sous le titre "Peiresc de Giordano Bruno à Tomasso Campanella, une conscience contre l'Inquisition".
Giordano Bruno (1548-17 février 1600) était un prêtre dominicain, un esprit indépendant cultivant l'art de la mémoire. Arrêté par l'Inquisition, il fut brûlé à Rome au Campo dei Fiori. Il ne rencontra jamais Peiresc, alors bien trop jeune. Cependant, vue l'influence décisive que Peiresc eut ultérieurement, à tel point que personne n'aurait mis ses relations avec lui en péril, on peut imaginer qu'il aurait intercédé en faveur de Bruno comme il le fit plus tard en écrivant au pape Urbain VIII afin de demander pour Galilée un traitement de prisonnier moins sévère.
Tomasso Campanella (1568-1639) est lui aussi dominicain ; il est arrêté pour hérésie et croise Bruno dans sa prison. Il arrive à fuir l'Italie, passe par chez Peiresc et va à Paris où il devient le secrétaire de Richelieu.
 
Alain SCHNAPP (Université de Paris IV &endash; Institut National d'Histoire de l'Art) traita "Le sentiment du passé chez Peiresc, monument et document".
Peiresc est un "antiquaire" ce qui, au 17ème siècle, s'applique à celui qui administre le passé pour préparer l'avenir, qui régénère le savoir dans le développement de l'histoire en exploitant le temps passé, qui fait surgir la vérité de l'objet d'archéologie, voire de sa réplique. La tâche de l'antiquaire est de distinguer les "res" humaines des "res" divines.
Suivant son habitude, Peiresc envoie à des correspondants de véritables protocoles d'analyse permettant de conduire des enquêtes à propos de découvertes archéologiques, mais aussi autour des lieux de découverte car, pour Peiresc, il ne faut pas que décrire mais aussi fouiller autour.
Divers frontispices (vers 1595-1600) présentés montrent d'ailleurs des gens creusant le sol pour collecter des informations, confirmant la place des "antiquités" dans la régénération du savoir.
 
Mady Smets, Didier Ferrier et Edgar Gunzig.
 
Didier FERRIER (Université de Montpellier) capta toute notre attention en nous présentant un "Peiresc juriste" sous deux facettes, celle du Peiresc étudiant et celle du Peiresc juriste.
En 1604, Peiresc est étudiant à Montpellier, après avoir été "escolier" à Padoue. A Padoue, Peiresc n'est pas passionné par le droit car le droit italien est alors confus, étudiant les opinions et préconisant plus un ensemble de recettes.
A Montpellier, Peiresc prend conscience de cette confusion, par l'étude de grands juristes tels Placentin (12ème) qui bascula la coutume dans le droit (la règle n'est plus dogmatique, mais l'image du jeu social) et J. Cujas (1522-1590). C'est Julius Pacius (1550-1635) qui subjugue Peiresc par son enseignement des divers volets du droit : le digeste, le codex, les institutes et les contrats.
Vers 1604, Pacius réédite aussi le Corpus Juris Civilis.
En 1604, Pacius viendra jusqu'à Aix-en-Provence à la défense de thèse de doctorat de Peiresc sur le thème du fidéicommis.
Après 1604, Peiresc est juriste et conseiller de Guillaume Du Vair, Président du Parlement d'Aix dont il devient membre en 1606 au décès de son oncle Claude de Callas. Il n'est pas exalté par cette activité de juge, son rôle dans les dossiers n'étant jamais évoqué malgré leur importance (intérêts et usure, dévaluation des monnaies, mariage clandestin,…). Confronté à la déformation du droit romain par les glossateurs qui conforte la primauté du prince sur les lois, Peiresc veut rééquilibrer le droit du prince et du peuple par l'action du Parlement.
L'absolutisme royal montant, supporté par Richelieu, induit le conflit entre Peiresc et Richelieu. Peiresc quitte Paris pour Aix, conscient qu'en droit les faits sont soumis aux lois et qu'en science c'est l'inverse, cette opposition étant empreinte aussi d'une profonde convergence, à savoir la rigueur et la prudence (car tout est réfutable en science comme en droit) qui doivent marquer l'esprit scientifique et l'esprit juridique.
 
Pour finir, Gaston GODARD (Université Paris VI) nous entretint de "Peiresc géologue".
D'une part, le mot "géologie" est utilisé pour la première fois en 1604 par Ulissi Aldrovandi (Université de Bologne), d'autre part cette géologie n'en est alors qu'aux "géants bibliques", aux "jeux de la nature" et à la "coagulation des pierres" pour expliquer les phénomènes naturels et les fossiles. Il faudra attendre 1669 pour que Nicolas Sténon pose les fondements de la géologie (De solido intra solidum naturaliter contento dissertationis prodromus) en énonçant les concepts de la superposition des couches géologiques (les plus anciennes dessous) et du basculement des strates (effet tardif après les dépôts), de la cristallographie, de l'origine des fossiles.
Dans ce contexte, Peiresc fait à nouveau preuve de ses qualités de "collecteur" en adressant à une vingtaine de correspondants dans le monde des mémoires et en rassemblant en son cabinet des données à propos de la formation de l'ambre en mer baltique, des gisements de pétrole, les coquilles marines trouvées en pleine terre, etc.
Il analyse les faits, démontre ainsi que le Theutobocus n'est pas un géant biblique mais un squelette fossile d'éléphant, énonce avec Gassendi l'idée d'une "maille élémentaire" (base de la cristallographie), et applique une pensée scientifique rigoureuse.

Jean-Paul Capron

Pour en savoir plus :
• "De vita Peireskii" de Pierre Gassendi, traduction de Roger Lassalle, avec la collaboration d'Agnès Bresson, Edition Belin, Paris, 1992.
• Les Actes du colloque organisé à Peyresq du 26 au 29 août 2004, Science et Technique en Perspective, Editeur Brepols.