ANNEXE
• Rapport des observations effectuées lors du stage de juillet par Nina Wauters

A. Introduction
Depuis toujours, les insectes et les plantes ont entretenu des liens étroits. D'abord cette relation n'a intéressé les hommes que d'un point de vue purement pratique : on a étudié les insectes ravageurs de cultures, les vers à soie (sériciculture), les abeilles (apiculture)… Mais on n'a commencé à porter un véritable intérêt aux insectes qu'au XVIIIème siècle avec les “Mémoires pour servir à l'Histoire des Insectes” (1734) de Réaumur. Plus tard, Darwin va également s'intéresser aux relations plantes-insectes, notamment en étudiant la co-évolution des insectes et des Orchidées, ce qui l'amènera à formuler en 1859 sa célèbre théorie de l'évolution. Il s'est également intéressé aux plantes Insectivores (1875). Les exemples de relations entre plantes et insectes sont très nombreux, qu'il s'agisse de mutualisme (par exemple l'Acacia cornigera et les fourmis Pseudomyrmex ferruginea qui vivent dans son tronc, ou certaines guêpes qui pondent et se développent dans le fruit d'une espèce spécifique de Ficus) ou de parasitisme (pucerons…).
Le meilleur exemple est pourtant de loin celui de la pollinisation entomogame. Nous ne pouvons aujourd'hui imaginer un jardin en fleurs sans ses pollinisateurs associés, des abeilles aux papillons. Cette relation nous a toujours paru aller de soi, mais jusqu'à quel point ? Les plantes se contentent-elles de manipuler les insectes en les attirant par des parfums, des couleurs, des phéromones femelles…, ou cette relation est-elle plus complexe ? Les insectes peuvent-ils modifier la floraison des fleurs ou les pousser à adopter d'autres stratégies comme l'autopollinisation si les butineurs viennent à manquer ?

B. Objectifs
C'est cette voie que nous avons décidé d'explorer au cours du stage de Peyresq. Nous avons formulé deux hypothèses sur cette étroite relation qu'entretiennent angiospermes et butineurs, et avons tâché de les tester.
La première des deux hypothèses que nous avons testées est : "une fleur non pollinisée retarde sa fanaison". En d'autres termes, si l'on parvient à tenir à l'écart des pollinisateurs une fleur ou inflorescence, on observera qu'au bout d'un certain temps, elle sera à un stade phénologique moins avancé que d'autres fleurs d'une même plante ayant été pollinisée.
La seconde hypothèse est "une fleur privée de butineurs augmente son attractivité". Ce qui signifie qu'en comparaison avec des fleurs régulièrement en contact avec des butineurs, une fleur isolée tentera d'attirer ceux-ci par différents mécanismes (dont nous ne nous occuperons pas ici).

C. Matériel et méthode
Chacun a reçu le nom d'une fleur à étudier. J'ai reçu la lavande, Lavendula vera (ou angustifolia), un arbuste aromatique de la famille des Lamiacée, et de la sous-famille des Népétoïdées. C'est une espèce proche du lavandin et qui est souvent utilisée en parfumerie et en phytothérapie. Sa région d'origine est la Provence, mais on peut également trouver des champs de lavandes plus au Nord. Elle pousse en sol sec, généralement calcaire, et bien exposée.
Floraison en Juin-Juillet.
La fleur de lavande se compose d'un ovaire en 4parties qui donneront un fruit spécifique : un tétrakène schizocarpé. Style gynobasique. On peut voir très nettement le disque nectarifère.
La lavande possède 4 étamines soudées à la corolle, 2 longues et 2 plus courtes, 5 sépales soudés et 5 pétales soudés en tube et une corolle zygomorphe. La zygomorphie est un caractère attractif pour les hyménoptères.
Nous avons pour cette expérience choisi 6 inflorescences à un stade phénologique similaire sur une même plante, nous les avons numérotées au hasard puis, toujours au hasard, nous avons isolé trois de ces inflorescences des butineurs en les emballant dans du tulle. Il est apparu que les inflorescences emballées sont les inflorescences n° 1,2 et 4 ; et que les inflorescences libres sont les n° 3, 5 et 6. Ceci a eu lieu le mardi 4 juillet
Au bout d'une semaine (le 10 juillet) nous avons déballé les inflorescences et comparé celles-ci avec les trois autres inflorescences que nous avons appelé les inflorescences-témoins.
Pour le 2ème test nous avons observé et compté les pollinisateurs visitant au cours de la journée du 8 juillet les trois inflorescences témoins choisies plus haut. Pour ce faire, nous avons observé pendant 10minutes toutes les heures les pollinisateurs. Ensuite nous avons attendu de pouvoir déballer les inflorescences (il fallait avoir fini la 1ère exp) et avons compté les butineurs sur les fleurs déballées, cette fois seulement pendant 3h, toujours 10min toutes les heures, et avons comparé la fréquence et la durée des visites des insectes sur la série témoin et la série expérimentale.

D. Résultats :
1) Données préalables :
a) Stades phénologiques :
Pour pouvoir comparer la phénologie de la floraison de deux inflorescences, il faut tout d'abord définir des stades phénologiques. J'en ai déterminé cinq pour la lavande.
Stade 1 : La fleur est fermée et non colorée. Taille : 3-4mm
Stade 2 : La corolle se colore légèrement en bleu et commence à s'épanouir
Stade 3 : La corolle s'épanouit, la couleur dominante est le bleu
Stade 4 : La corolle est complètement épanouie et présente une symétrie bilatérale typique des Labiés. Taille : 9-10mm
Stade 5 : La corolle se flétrit et commence à se décolorer.
Il faut savoir également que les fleurs de lavande sont regroupées par 3 sur les deux côtés de la tige et qu'en général les deux fleurs centrales fleurissent avant les quatre fleurs situées aux extrémités.

b) Butineurs
Voici une liste non exhaustive des insectes observés sur lavendula vera :
• Lépidoptères
- Thymelicus linoleus (Hespéridés)
- Zygaena fausta, Zygaena trifolii, Zygaena filipendula (Zygénidés)
- Parnassius apollo (Papillionidés)
• Hyménoptères
- Psythyrus campestris (Apidés)
- Bombus agrorum, Bombus terrestris, Bombus lapidarius (Apidés)
- Apis mellifera (Apidés)
- Leucospis gigas (Chalcidoïdés)
- Megachile sp. (Megachilidés)
• Diptères
- Syrphus sp. (Syrphidés)
- Bombylius major (Bombylidés)
• Coléptères
- Oedemera nobilis (Oedemeridés)

Quant au type de butineurs, ce sont en majorité des bourdons (plus présents en matinée) et des papillons zygènes. Les insectes restants sont des guêpes, des syrphidés, des coléoptères (souvent plus brouteurs que butineurs) et des papillons divers

2) Test de la première hypothèse
a) Graphiques :
Et voici un graphique de la répartition des stades phénologiques au premier jour :

J'ai comparé l'état des stades phénologiques au premier jour (le 4 juillet) entre les 3inflorescences témoin et les 3 inflorescences expérimentales. Le test du Chi2, 3ddl, p<0,05 montre que l'écart n'est pas significatif. Les fleurs sont donc au départ au même stade phénologique.

Ensuite le 10 juillet j'ai déballé les inflorescences isolées et j'ai de nouveau compté le nombre de fleurs dans les fleurs isolées et les témoins

Au premier coup d'œil, on a l'impression que les fleurs témoins sont pour la plupart dans des stades plus avancés : la majorité des fleurs sont fanées.

b) Test statistique du Chi2 :
Nous avons comparé les stades phénologiques des inflorescences témoins et des inflorescences expérimentales au moyen d'un test du Chi2 3ddl, p<0,05.
Ce test prouve que les inflorescences témoin sont à un stade phénologique significativement plus avancé que les inflorescences expérimentales tenues à l'écart des insectes.
La première expérience est concluante.
Mais il on ne doit toutefois pas négliger certains paramètres qui ont pu, d'une manière ou d'une autre, influencer les résultats de l'expérience.
J'ai observé plusieurs fois des zygènes sur les inflorescences expérimentales qui butinaient à travers le tulle. Il se peut qu'en pollinisant quelques fleurs, ces zygènes aient contribué à faire faner des fleurs expérimentales.
Il a souvent plu l'après-midi lors du stage. Ces pluies ont pu empêcher les pollinisateurs de butiner les fleurs témoins, et donc diminuer l'écart entre fleurs emballées et fleurs libres
On ne connaît pas les effets de l'emballage dans du tulle sur la floraison. Peut-être crée-t-il un microclimat plus chaud qui retarde ou accélère le développement des fleurs ? Ou en tenant les fleurs à l'écart des insectes, peut-être un mécanisme d'autopollinisation se met-il en marche ? Ces questions restent aujourd'hui sans réponses.
Enfin, j'ai observé à 2 reprises des “combats” d'insectes pour butiner une fleur. Une abeille a violemment volé sur un bourdon pour le faire partir. Je ne sais pas si cela a pu avoir une quelconque influence sur la floraison mais ce fait méritait d'être signalé.
Tous ces paramètres n'ont sans doute pas eu une grande importance car même si certains tendaient à diminuer l'écart entre phénologie des fleurs témoins et expérimentales, le test statistique reste concluant.
L'hypothèse n°1 est donc dans ce cas vérifiée.

3) Test de l'Hypothèse 2 :
a) Graphiques
Le premier jour, j'ai établi le cycle nycthéméral de visite des insectes butineurs sur les trois inflorescences témoin. Voici ce que cela donne :

On constate un pic d'activité vers 10h jusqu'à environ 15h.

Graphique de l'activité des deux principaux pollinisateurs :

On remarque que les bourdons et les abeilles sont plus présents au début et à la fin de la journée, alors qu'en milieu de journée, lorsqu'il fait plus chaud, ce sont les zygènes qui butinent plus. Cela s'explique par le fait que ces deux Apidés sont endothermes et n'ont donc pas besoin d'être bien réchauffés par le soleil pour commencer à butiner.
NB: on observe aussi des zygènes le matin mais il semble que cela résulte d'une confusion : ces zygènes étaient endormis et ne butinaient pas.

Après le déballage des inflorescences expérimentales, nous avons également comptabilisé le nombre d'insectes visitant ces inflorescences, mais seulement pendant 3heures.

On remarque immédiatement que les fleurs nouvellement déballées sont beaucoup plus visitées que les inflorescences témoin. Néanmoins il semble qu'au bout de quelques heures, leur attractivité diminue pour atteindre celle des fleurs témoins.
Quant à la durée totale des visites, on se rend également compte qu'elle est beaucoup plus longue sur les inflorescences expérimentales :

c) Test statistique :
Nous avons comparé le nombre de butineurs ayant visité les fleurs de la série expérimentale et les fleurs témoin de entre 10h et 13h par un test du Chi2. Avec 1ddl, p < 0,001.
Les fleurs ont donc reçu significativement beaucoup plus de visites de butineurs que les fleurs témoin.
Ceci tend à montrer qu'effectivement des plantes tenues à l'écart des insectes pollinisateurs augmentent leur attractivité par différents mécanismes non étudiés ici (mais nous supposons qu'il s'agit essentiellement de production de grandes quantités de nectar, senteurs et couleurs plus fortes…) pour augmenter leurs chances de fécondation.
Il faut toutefois garder à l'esprit que le comptage des insectes sur les inflorescences témoin et expérimentales a été effectué à deux jours d'intervalle. Ce qui pourrait signifier que des données météorologiques comme la pluie, des températures plus ou moins chaudes ou un vent très fort ont pu influencer l'activité des butineurs. Mais on peut raisonnablement se dire que le temps était sensiblement le même lors des deux comptages (il n'a en effet pas plu durant les heures de comptage, le vent était modéré les deux fois et les températures proches), et que l'effet des paramètres météorologiques est dans ce cas négligeable.
L'hypothèse n°2 est donc plausible.

Les inflorescences témoin ont reçu en tout 12 visites, et les inflorescences expérimentales en ont reçu 78.
L'hypothèse nulle serait que les inflorescences témoin et expérimentales aient reçu chacune 45vistes.
Test Chi2 : Chi2 = 48,4 avec un ddl, p < 0,01.
Les résultats du test sont très significatifs.

E. Conclusions
1) Hypothèse 1
En conclusion, on remarque que les insectes ont une forte influence sur le développement et la floraison des fleurs. Lorsqu'ils ont pollinisé et fécondé une fleur, celle-ci, ayant "fait son boulot", va commencer à faner. A l'inverse, si elle n'est pas visitée ni fécondée, elle va tenter d'attirer un maximum d'insectes par divers stratagèmes.
La vision d'un jardin fleuri sans insectes n'est donc pas pour aujourd'hui …

2) Hypothèse 2
L'attractivité des fleurs expérimentales est bien supérieure à celles des fleurs témoins.

On remarque toutefois que cette attractivité diminue au fil du temps pour atteindre celle des fleurs témoins. Cela s'explique par le fait que la quantité de nectar supplémentaire produite par les fleurs isolées, est rapidement butinée jusqu'à atteindre un niveau "normal", comme chez les fleurs témoins. Certaines fleurs butinées juste après déballage ont pu être rapidement fécondées et perdre très vite leur attractivité.