Peyresq. Tableau peint par l’abbé Fournier en 1879.
L’année commença pour le village assoupi sous un épais manteau de neige. La pauvreté est cruelle par temps
froid : alors, le Conseil Municipal vota un budget de 540 francs pour les nécessiteux et une somme de 300 francs pour l’enlèvement des neiges et des éboulis. On en parlait beaucoup, de cette neige si abondante, à la « chambrette » ou « cercle », où les hommes se réunissaient l’hiver, pour boire un vin chaud, près du feu. Ils y jouaient à la manille, tout en discutant. C’était l’occasion d’oublier un peu la dureté de la vie. Cependant, les soucis réapparaissaient au cours des conversations. On se souvenait de l’hiver précédent où le Conseil Municipal avait permis aux plus pauvres de la commune de gagner quelque argent, en leur faisant enlever la roche qui se trouvait entre l’église et la place publique : cette roche obstruait l’escalier de l’église, dépréciant celle-ci, et son enlèvement allait donner un élargissement à la place. Lorsque ce travail fut accompli, le Conseil avait décidé de faire placer à l’endroit, bien ensoleillé, où le rocher avait été supprimé, des banquettes en pierre, pour orner la place et permettre aux Peyrescans de s’asseoir au soleil d’hiver. Une somme de 340 francs avait été votée pour tous ces travaux et toute la communauté s’en trouva satisfaite. La neige fondait peu à peu : Pâques approchait. L’odeur de crottin de chèvres et de moutons, restés enfermés pendant ces longs mois, imprégnait les rues étroites du village et, dès le premier radoucissement du temps, les mouches envahissaient les maison de pierres, dont les joints de sable et de chaux s’effritaient après les gels de l’hiver. Les hommes commençaient à monter sur les toits déneigés pour vérifier l’état des planches de mélèze (ou bardeaux), disposées en écailles. Les plus anciennes maisons du village, situées en bordure de la falaise, auraient bien besoin d’être réparées : la récolte de l’année le permettrait peut-être? Sous l’étage d’habitation, on entendait le bétail marquer son impatience à quitter cette cave voûtée et obscure. Sous le toit, la grange se vidait petit à petit des provisions d’hiver.
La population culminait en ce milieu du XIXe siècle; le village ne comptait pas moins de 60 feux (251 habitants), juste avant un déclin inexorable. Depuis sa fondation, vers 1230, Peyresq a toujours été habité.
L’église de Peyresq a été bâtie dans la première moitié du XIIIe siècle, au moment où la paroisse fut donnée aux moines bénédictins de saint Dalmas de Pédona, en Italie. Ces moines semblent être restés à Peyresq jusqu’au XVe siècle.
Les limites des seigneuries en Provence correspondent à celle du terroir du village. Le village est la cellule de base de la seigneurie et la communauté villageoise a toujours possédé le droit de délibérer en assemblée générale des chefs de famille sur les questions d’intérêt communal.
En 1388, sous l’autorité de Décane Rostaing, Dame de Peiresc, un événement important survient dans l’histoire de Provence : Peiresc devient une seigneurie frontière, frontière entre la Savoie et la France. Des bornes de pierre sur lesquelles étaient gravées d’un côté la croix de Savoie et de l’autre la fleur de lis, signalaient la frontière. On peut encore en voir une au col des Champs.
Peiresc, comme de nombreuses seigneuries, appartenait à des coseigneurs. Ainsi, en 1534, Antoine Guiran, marié à Marthe de Bompar, était seigneur de Peiresc. Au XVIe siècle, un autre seigneur de Peiresc, petit-fils de Pierrette Guiran, Jean-Gaspard Bompar a transmis son héritage à sa fille Marguerite Bompar, mariée à Reinaud Fabri. Ce couple eut deux fils, l’aîné, Nicolas-Claude Fabri de Peiresc fut l’un des plus grands humanistes français. Conseiller du roi au Parlement de Provence, abbé de Guitres, il était communément nommé et entendu dans toute l’Europe pour ses connaissances universelles, sous le nom de « Seigneur de Peiresc » …
Il fut tout à la fois, en une vie de cinquante-sept ans à peine, juriste et magistrat, humaniste et philosophe, épistolier et poète, botaniste et astronome, numismate et bibliophile, collectionneur et voyageur, et l’ami des plus grands esprits de son temps. La somme de connaissances dont il s’enrichit, et qu’il sut si bien transmettre en une correspondance devenue célèbre, force aujourd’hui encore, au temps des ordinateurs et des vols supersoniques, l’admiration. Nicolas-Claude Fabri, était devenu Seigneur de Peiresc en 1604, quand son père lui fit don du petit terroir de ce nom en Haute-Provence. Il se révèle, tout jeune, épris de science.
La peste et la guerre civile l’obligeront à fuir de collège en collège : Brignoles, Saint-Maximin, Avignon et Tournon, où les jésuites lui enseignent la philosophie. Il se passionne aussi bien pour les poètes que pour les sciences exactes, et dévore les livres. Il poursuivra ses études à Padoue, vivra trois ans en Italie, avant de revenir en Provence en 1602 et préparer à l’Université de Montpellier son doctorat. Il soutint ses thèses le 18 janvier 1604. Il héritera, en juin 1607 à 26 ans, de la charge de Conseiller au Parlement de Provence que son oncle lui transmet. Peiresc enthousiasmera Guillaume du Vair, le premier président au Parlement d’Aix. Lequel l’emmènera à Paris, et l’introduira dans un milieu passionnant où brillent lettrés et savants. De Paris, Peiresc gagnera Londres, puis la Hollande, la Belgique, avant de rentrer à Aix-en-Provence.
Peiresc prit grand soin de sa Seigneurie, dont il fit connaître le nom dans l’Europe entière de la science et des arts. Et il s’intéressa avec attention au village de Peyresq où, vu les difficultés du voyage et sa santé délicate, il ne vint pas en personne, mais confia à son frère, Valavez, l’étude des courants froids sortant de la grotte du Grand Coyer, au-dessus du village de Peyresq. Célibataire, peu friand de frivolités, il consacra toute sa vie à la découverte des richesses de l’esprit, de l’art et de la nature dans une ouverture de pensée que certains n’ont pas encore acquis aujourd’hui. Rien de ce qui est humain ne lui fut étranger.
Un an avant sa mort, il écrivait : » Je tâche de ne rien négliger jusques à tant que l’expérience nous ouvre la voie à la pure vérité ». Il eut, à certains égards, des vues dont on pourrait penser qu’elles ne sont qu’actuelles: il était hostile à la peine de mort ; il déplorait le déboisement des forêts, s’irritant de voir brûler les arbrisseaux jusqu’aux racines.
Dans les armoiries de Peyresq on découvre une étoile qui désignait déjà le destin particulier du village de Peyresq… au XXè siècle, et un rocher, qui évoque l’omniprésence de la pierre.