1932

Joseph, fils de Jean-Baptiste, et petit-fils de « Jean », a 14 ans : depuis deux ans, il garde les vaches pour les propriétaires du village ; il remplace ceux qui ne peuvent pas assurer leur tour de garde. Pour permettre aux adultes d’aller travailler aux champs, les enfants les remplacent pour mener les bêtes à la pâture. Joseph se propose souvent, en échange d’un peu de nourriture qu’il rapporte à sa mère.

Quelques années plus tard, un autre Joseph, Joseph Lambot descend vers Thorame en chantant de sa belle voix : facteur du village, il va, tous les jours, à pied jusqu’à la gare de Thorame-Haute, pour y apporter le courrier de La Colle et de Peyresq et ramène de la vallée les lettres, journaux et colis pour les deux villages et le hameau du Fontanil. L’administration lui fournit l’habit et une paire de souliers cloutés par an. Par tous les temps, Joseph accomplit son travail. Il se donne du courage en chantant des airs d’opéra. « Il sait même chanter la messe en latin », disent de lui les autres Peyrescans. Dans sa demeure, au-dessus de la mairie, il garde précieusement tous ses livres dans un placard : il ne les prête jamais.

Joseph, le gardien des vaches, envie Joseph le facteur : pouvoir quitter le village, rencontrer d’autres gens, s’ouvrir au monde ! A Peyresq, ils ne sont plus que dix-sept habitants. Joseph a envie de participer au monde, de fuir le monotone tête-à-tête avec les vaches. Au village, ceux qui restent sont plus ou moins aigris par leur sort : à quoi bon lutter. La montagne est

trop forte. Il vaut mieux aller bâtir ailleurs. Au fond de sa poche de veste, Joseph tâte un joli galet ovale : c’est son grand-père qui le lui a donné, lorsqu’il a commencé à mener les bêtes aux pâturages. Il sait que les signes gravés sur une face signifient : « Ils sont nés pour s’aimer et non pour se haïr ».

Ce clair matin de printemps, sa décision est prise : il sera fonctionnaire, dans une vallée lointaine, là où il y a de la vie à entretenir, des cités à construire. Il grave de son couteau une phrase sur la deuxième face de la pierre plate : « Si vous voulez que les hommes s’entendent, faites-les bâtir ensemble ».

C’est l’institutrice qui lui avait dicté un jour ces mots, pendant une leçon de français. Joseph fait sienne cette pensée, pose le galet sur la cheminée de sa vieille maison à l’entrée du village de Peyresq et s’en va, sur les traces de tous ceux qui se sont exilés avant lui. Tous ceux qui sont devenus fonctionnaires, dans l’enseignement, la poste ou la gendarmerie ont tracé, de Peyresq, les chemins de l’exode. Joseph quitte, à son tour, ses montagnes et son village.

pierre

 

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