1961

Le village de Peyresq s’achemine doucement vers sa reconstruction, mais on en est encore loin : il n’est pas encore assez avancé dans sa restauration et pourtant toujours dans l’optique de faire connaître le but humaniste de nos travaux, avec une audace toute juvénile, nous préparons un grand événement culturel.
En effet, voici le récit de notre architecte Pierre Lamby :
Cette saison là, début juillet, le village fut envahi par une troupe étrange composée d’individus s’interpellant par des noms bizarres, des noms du moyen âge.
En fait il s’agissait de participants à un stage d’art dramatique que le Service National de la Jeunesse programmait dans le cadre de l’organisation de la première activité culturelle dans le village en restauration, et groupant des étudiants membres de troupes de Jeunes Théâtres Universitaires ou d’acteurs amateurs indépendants.
La pièce qu’ils devaient travailler, puis présenter, sur la place de l’église, le jour de la fête nationale belge, racontait la lutte des « quatre fils Aymon » contre Charlemagne. Son auteur, Herman Closson, s’était expressément déplacé et avait modifié sa pièce afin de lui donner un épilogue franco-provençal. Le directeur du stage, Frank Lucas, assurait la mise en scène, tandis que son épouse animait l’atelier de décor et de costumes. Car le stage englobait toutes les disciplines du théâtre installées pour chacune dans des locaux différents : l’art de la mise en scène, du décor, du costume, de l’éclairage, etc.
Les acteurs, dont les rôles avaient été distribués dès la Belgique, étaient sensés connaître parfaitement leur texte en arrivant au village et pour se familiariser avec leur personnage, s’interpellaient par le nom de leur personnage dans la pièce, même en dehors des répétitions. Pendant que les stagiaires, déclament aux rochers ou à leur partenaire, les autres étudiants s’activent à préparer l’espace scénique et le parterre. Un podium en terre, précédé de cinq marches, avait déjà été réalisé l’année précédente près de la fontaine de la place, devant la future maison « Saint-Exupéry ».
La mise en scène utilisait le dispositif propre au Moyen-âge, sur le parvis des cathédrales : les « mentions » ou les décors présentaient, côte à côte, le paradis, l’enfer et d’autres lieux. Ainsi, le spectateur pouvait découvrir, selon l’éclairage qui le tirait de l’ombre, le palais de l’empereur, la tour de guet, la chaumière (l’arc boutant du Centre) ou la forêt plantée sur la rue du Coulet.
Pour la réalisation du parterre l’entrepreneur nous avait prêté ses plateaux d’échafaudages qui, disposés en arc de cercle, créaient une polarisation du public vers la scène, définissant de la sorte un espace d’avant scène. Pour compléter l’équipement deux tours en tubulaire métallique dressaient à près de six mètres de haut une cinquantaine de projecteurs chacune.
Le tapis de câbles circulait sous les gradins jusqu’à la fenêtre du bureau de l’économe, transformé en régie éclairage avec orgue à lumière et tableau des fiches indispensables. Tout le village travaillait à la préparation de la fête, les autochtones, les maçons, les enfants …
Mais, un matin, surprise ! Au tournant de la route, venant de la vallée, se profilent deux énormes cars de touristes allemands que la publicité organisée jusqu’à la côte avait retenu dans le programme des tour-opérateurs. La place en cul-de-sac est la seule aire de manœuvre possible pour des véhicules de cette taille. Cet incident se produisait à deux jours de la première et unique représentation à laquelle tout le pays était invité.
Tant pis, il fallut démonter une des deux tours, débrancher une partie des projecteurs (réglés durant des nuits entières), ranger les gradins. Cet incident nous a donné à réfléchir sur l’avenir de semblable manifestation ou de festivité.
Pour des raisons d’organisation de la soirée et la nécessité de pouvoir recevoir la presse dans un lieu couvert, il fut décidé, suite à l’adoption de l’idée de créer dans la grande ferme à l’entrée du village (Maison »Sophocle »), nouvellement couverte, le futur Centre de l’association, d’immédiatement réaliser, sans attendre l’étude d’un plan d’ensemble, l’aménagement du rez-de-chaussée, afin d’accueillir les autorités et personnalités conviées.
En effet, le Consul de Belgique à Nice, très favorable à notre action humaniste, avait décidé, afin de nous soutenir, de donner sa réception du 21 juillet du corps consulaire à Peyresq ! Il avait affrété deux camionnettes, l’une pleine de sandwiches, l’autre de vin blanc. Ah, le vin du consul ! Le lendemain, il en restait tellement, que pendant deux ans, nous avons pu continuer à le déguster.
En plus des diplomates de toutes nationalités, américains, soviétiques ou chinois, l’évêque de Digne, le commandant de la place, les maires et conseillers municipaux de toute la région, les motards de la gendarmerie, les pompiers avec leur véhicule, tout ce monde vint s’ajouter aux nombreux habitants des villages voisins. Il y avait près de cinq cents personnes sur la place. Le mistral qui avait énervé les acteurs durant la semaine entière, les obligeant à hurler leur texte, jusqu’à en perdre la voix, tomba brusquement. Mais pour pouvoir accueillir ce beau monde, le bar prévu dans l’ancienne étable du rez-de-chaussée de la ferme à l’entrée du village, devait être opérationnel. Nous ne disposions que de huit jours pour en réaliser l’aménagement et il fut réalisé. Le Consul de Belgique fut enchanté de cette journée du 21 juillet.

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