La reconstruction du village de Peyresq se précise
Pierre Lamby, l’architecte de Peyresq, nous décrit quelques-uns des chantiers et des diverses activités du moment :
Un groupe, le Cercle Polytechnique de la Faculté Universitaire de Mons, osa tenter l’aventure, acheta la ruine cad. 208, et se mit directement au déblayage des murs et toitures écroulées.
L’équipe était sensationnelle. Originaire d’un pays de mines, les montois se faisaient un devoir d’ériger avec leur déblais un véritable terril au milieu de la future place de Peyresq. Un petit problème survint. Un oiseau couvait. Le nid se lovait dans l’encoignure d’un mur de cave. Le chantier fut organisé de telle sorte que la couvée put être menée à terme. Dès l’éclosion, chaque fois que la mère revenait avec le ravitaillement, le chantier suspendait son activité quelques instants. Bientôt, l’oiseau et sa petit famille prirent leur envol et le mur put enfin être conforté.
Le chantier Tables Rondes avait abordé la troisième phase des travaux et le tas de pierres qui, au départ, encombrait l’aire de chantier, avait si bien fondu qu’il fallait à présent que les murs, par manque de pierres, soient construits à l’aide de parpaing de ciment avec parement de moellons, ou même sans parement lorsque la façade est percée de nombreuses portes fenêtres à volets rabattant. Un simple enduit plus une peinture ocre suffit à fondre le bâtiment dans le contexte environnant.
Comme le comité directeur des Tables Rondes ne pouvait financer à la fois les travaux et les bourses des étudiants, il décida de ne confier les travaux qu’aux seuls hommes de métier. Or ce qui donne une âme à ces restaurations, c’est la part accidentelle de l’amateur, son inventivité maladroite ou géniale, la personnalisation souvent involontaire, qui humanise la construction. Sinon le bâtiment achevé s’en ressent : froidement professionnel.
Lorsqu’une erreur intervient dans l’exécution, elle est intégrée, l’année suivante, à la reprise du chantier comme une volonté inscrite dans les plans, moyennant quelques aménagements de détail.
La bonne volonté est trop précieuse pour la négliger.
Dans la maison Th. Verhaegen (cad. 213) avait été installé un véritable atelier qui fournissait les étudiants en outils et matériel de chantier. Chaque chantier était organisé selon un programme précis, une équipe motivée et relayée selon les prévisions d’arrivage des équipiers et un budget plus au moins respecté. Un chef des travaux et quelques chefs de chantier encadraient les équipes. Quant à l’architecte, il galopait toute la journée d’un chantier à l’autre afin d’adapter ses plans de principe, non cotés ou presque, à la réalité des travaux en cours.
Les chantiers de la Cour des Métiers s’activaient de partout. L’espace se dégageait au fur et à mesure. Une cave voûtée découverte sous la placette pouvait être sauvegardée. Son relief servira de podium en dur pour le dispositif frontal de la scène, tandis que sa fraîcheur abritera la pharmacie de l’antenne médicale de l’association. La mise horizontale de la Cour des Métiers avait réclamé de grands soutènements. Ceux-ci ont contribué à la sauvegarde de la maison baptisée « Coubertin-Petitjean » (cad. 208). Cette façade très caractéristique recélait dans ses caves l’unique exemple d’une sorte de hourdis primitifs en plafond, constitués de poutres de section trapézoïdale avec des pierres plates comme intercalaires formant linteau.
Le chantier « Sophocle » était grevé d’une servitude désagréable. Dans l’angle de l’aile restaurant et de l’aile cuisine, subsistait une bergerie hébergeant encore un troupeau d’une centaine de moutons plus les mouches et l’odeur. La propriétaire, Noëllie, refusait de la céder, à moins de l’échanger contre une bergerie de capacité équivalente. Toine résolut la question : il acheta un terrain communal (le seul terrain acceptable pour le berger était situé à l’entrée de l’espace réservé au parking). Toine fit construire, à ses frais, une nouvelle bergerie et la donna à Noëllie, en échange de l’ancienne bergerie située sous la maison Sophocle.
Le tout fut réalisé en trois semaines. La vieille construction, qui disposait encore, comme bien des maisons du village, d’une grande citerne à eau de pluie, qu’il fallut bien démolir, fut aménagée en garages et réserves, reliées aux cuisines, tandis que la toiture en béton s’organisait en vaste terrasse restaurant que prolongeait la terrasse sur pilotis du pignon.
« La maison Alain » :
Toine avait, acquis en 1963 une maison, située à l’extrémité Est du site, extrémité qui en fait, venant de Méailles représentait l’ancienne entrée du village. C’est par ce chemin, ponctué en son dernier tournant par une chapelle votive du XVIIè siècle que se découvre la vue la plus caratéristique sur l’ensemble des maisons. Il destinait sa nouvelle acquisition, une fois rénovée à l’accueil de personnalités importantes tel un recteur d’université et sa famille, désireux de mieux connaître l’activité de ses étudiants.
Le panorama sur la vallée à cet endroit est peut-être le plus exceptionnel du site. Le problème était que la bâtisse, qui en 1940 déjà, avait des velléités flagrantes de descendre d’une pièce au fond du ravin : les pignons s’ouvraient, les murs ondulaient et l’ensemble ne tenait plus que par la vertu de l’homogénéité de la toiture.
Ce fut le chantier le plus inquiétant et le plus onéreux en gros-œuvre du village. En premier, il était nécessaire de démonter les planchers des deux niveaux, et pour ce faire, agrandir les creux d’encastrement des poutres. A chaque effort de désengagement, les pierres dévalaient et le ciel apparaissait à travers le mur. Aucun étudiant n’était admis sur le chantier: seuls, René, l’entrepreneur et pour le soutenir moralement, l’architecte, tous deux, plutôt inquiets et faisant semblant d’ignorer le réel danger.
Le bétonnage des deux dalles de sol donna quelque répit à la carcasse, mais des témoins de plâtre posés sur les fissures révélèrent une continuité du mouvement. Une opération lourde consista alors en un bétonnage armé d’une ceinture allant de roches à roches et franchissant presque le vide, afin d’assurer la base de la maison et créant ainsi la première terrasse d’une stabilité à toute épreuve. Le niveau suivant réclamait un traitement similaire. Une dalle extérieure formant la deuxième terrasse et s’appuyant sur un contrefort puissant et deux piliers de béton parés de moellons poursuivait son armature, sous le chemin, jusqu’à un ancrage en encoche taillé dans la roche.
La troisième terrasse, entièrement en bois, assurait aux estivants un mode de vie moitié intérieure, moitié extérieure, qu’exprime cette architecture.