Chap. I - La châtaigneraie du massif d'Annot : un enjeu de développement territorial

« Les paysages, comme les civilisations, sont mortels. »

Jean Robert Pitte

 
Photo 2. Châtaigneraie, Le Fugeret (CF- 2004)
 
En arrivant sur le massif d'Annot, il est difficile de ne pas remarquer le spectacle désolant de châtaigniers morts ou mourrant (cime dégarnie, branches mortes…). Toutefois, une politique de rénovation est actuellement en cours. En effet, le « massif » d'Annot a été retenu comme site pilote par le Ministère de l'Agriculture pour mettre en œuvre une Charte forestière de territoire, parmi laquelle figurent deux actions concernant la châtaigneraie.
Dans cette partie, nous allons essayer de comprendre qu'est ce qu'une Charte forestière de territoire et voir comment la châtaigneraie s'inscrit dans ce projet de développement territorial.
La quantification de la production de châtaignes de Braux, Méailles et Le Fugeret, et l'étude de pistes de valorisation, ont été réalisées à partir d'un questionnaire (annexe 1) envoyé à l'ensemble des adhérents des ASL. Au total, 71 enquêtes ont été postées aux 3 ASL(1) et 28 réponses sont revenues (annexe 2).
 
« Le territoire est un construit historique, socio-économique et institutionnel. Ceci signifie quatre éléments principaux : le territoire ne procède pas de la génération spontanée, il résulte d'un processus historique qui le modèle et en fait un lieu de mémoire ; le territoire procède d'une logique d'acteurs ; les relations entre agents s'inscrivent pour une bonne part en dehors des relations marchandes, d'où l'importance des règles, normes et signes de la communauté d'appartenance ; enfin les institutions sont très largement imbriquées dans le fonctionnement économique du territoire » (Courlet, 1995).
 
1. La charte forestière du massif d'Annot
 
1.1 Situation géographique, géologique et climatique du canton d'Annot
Situé au sud-est du département des Alpes de Haute Provence, à égale distance (80km) de Nice et de Digne, proche des gorges du Verdon, du parc du Mercantour et de l'Italie, le canton d'Annot comprend 7 communes : Annot qui en est le Chef-lieu, Braux, Le Fugeret, Méailles, Saint-Benoit, Ubraye et Vergons.
Canton de montagne, sa notoriété doit beaucoup à une originalité géologique : un synclinal gréseux, dit « des grès d'Annot ». De formation tertiaire de l'oligocène, ces grès sont à associer à des formations du secondaire : calcaires nummulitiques et marnes bleues. Cet îlot gréseux (substrat acide) a permis le développement de châtaigniers qui ont, pendant longtemps, conditionné une partie de l'activité humaine sur le canton.
Le climat est montagnard avec des pénétrations subméditerranéennes par les vallées du Var et du Verdon. La station météorologique la plus proche, Entrevaux, fait apparaître des pluviométries moyennes annuelles de 975 mm, avec une moyenne estivale de 183 mm. Des chutes de neige sont abondantes et irrégulières. Le réseau hydrographique du secteur est essentiellement marqué par les torrents de la Vaïre, la Beïte et le Coulomp, d'orientation nord-sud.
 
1.2 Mise en place de la Charte forestière du massif d'Annot (2)
Sur le canton d'Annot a été mis en place une Charte forestière. Cet outil de développement singulier n'aurait pu voir le jour sans une vision différente du développement territorial.

Vers une nouvelle orientation du gouvernement

Depuis une vingtaine d'années, des formes de mobilisation se développent autour des questions environnementales pour la mise en place d'un développement durable dont l'objectif est de répondre « aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs » (Commission Brundtland, 1987). A côté de cet élan, l'ambition d'agir sur des territoires en difficulté est clairement officialisée par les pouvoirs publics en France depuis les lois Pasqua et Voynet de 1995 et 1999. Ces nouvelles orientations constituent un message d'avertissement pour la prise en compte des espaces naturels et des facteurs sociaux dans la mise en place de projets de développement.
Les pouvoirs publics choisissent d'accompagner les projets des territoires, principalement ruraux et oubliés par les programmes nationaux d'aménagement (Deffontaines et Prod'homme, 2001). A la suite du rapport Bianco(3) (1998) « La forêt, une chance pour la France », les acteurs et les partenaires de la politique forestière ont affiché leur volonté de relever solidairement les défis de la mondialisation tant sur le plan environnemental, qu'économique, en promouvant une gestion durable et multifonctionnelle des forêts et en renforçant la compétitivité économique de la filière bois, tout en améliorant l'emploi dans ce secteur. Il a été décidé de mettre en œuvre, à titre expérimental, dès 2001, une vingtaine de sites pilotes de Charte de territoire forestier.
 
Les Chartes forestières de territoire
Si la notion de Charte de territoire est aujourd'hui d'actualité, les Chartes sont effectives depuis 30 ans avec les Chartes des parcs naturels régionaux. Elles définissent la politique d'aménagement des territoires, en prenant en compte la préservation des milieux naturels et le développement économique. Les Chartes engagent la mobilisation de partenaires autour d'un projet commun de développement.
Plus spécifiquement, les Chartes forestières de territoire s'intègrent dans le cadre d'une gestion durable multifonctionnelle de la forêt. Ce sont des documents contractuels visant à permettre la rencontre entre les offreurs de biens et services que sont les propriétaires forestiers privés ou publics, et des demandeurs. Ses enjeux concernent un grande diversité de problématiques territoriales forestières (approvisionnement des industries locales du bois, tourisme et loisir, préservation de la diversité biologique, mise en valeur des paysages…) et porte sur des territoires à dimension variable (massif, bassin versant…).
La loi assigne aux Chartes de territoire forestier quatre types d'objectifs possibles :
• garantir la satisfaction de demandes environnementales ou sociales particulières concernant la gestion des forêts et des espaces naturels qui leurs sont connexes,
• contribuer à l'emploi et à l'aménagement rural,
• favoriser le regroupement technique et économique des propriétaires forestiers, la restructuration foncière ou la gestion groupée à l'échelle du massif forestier,
• renforcer la compétitivité de la filière de production, de récolte et de valorisation des produits forestiers en favorisant le regroupement technique et économique des propriétaires forestiers.
 
Rappel historique de la Charte forestière du massif d'Annot
La Charte forestière du massif d'Annot a été initiée en 2001 par le Conseil Général des Alpes de Haute Provence. Elle couvre le canton d'Annot, soit 7 communes pour 1666 habitants.
Le choix du massif d'Annot comme site pilote relève d'une réflexion multi-partenariale (Département, Région, DDAF, ONF, CRPF, CDT, COFOR,…). Cette décision a été orientée par l'omniprésence de la forêt sur le territoire (84% de taux de recouvrement) et parce ce que le massif avait fait l'objet d'études préalables :
• diagnostic sur la forêt privée réalisé par le CRPF,
• étude sur la desserte forestière et les flux de bois confiée à l'ONF et au CRPF.
De plus, le massif d'Annot se prêtait particulièrement bien à une approche multi-usages puisqu'on y retrouve les fonctions de production (bois, châtaignes, champignons…), de protection (lutte contre l'érosion, réservoir de faune et de flore…), et de loisirs (randonnée, chasse…).
Le Conseil Général, porteur et maître d'ouvrage de l'étude pour l'élaboration de la Charte, a fait appel à un prestataire extérieur(4) (consultant) pour animer la démarche d'étude de la Charte. Le diagnostic, démarré en mai 2002, a pris fin en juin 2003, date où les orientations de la Charte accompagnées d'un plan d'action ont été validées par les élus des communes du canton d'Annot.
La Charte forestière du massif d'Annot a été signée le 29 janvier 2004 à Méailles par les élus locaux et plus d'une vingtaine d'acteurs : propriétaires et gestionnaires de la forêt, utilisateurs de l'espace et partenaires financiers. Le pilotage de la Charte a été confié au Pays Verdon, Vaïre, Var à défaut d'une structure porteuse locale (intercommunalité).
 
Présentation synthétique de la Charte forestière du massif d'Annot
La forêt du massif d'Annot est une forêt jeune et peu exploitée du fait d'une mauvaise desserte et de la faible valeur du bois. Elle couvre plus de 80% du territoire et continue de s'étendre suite au quasi abandon des activités pastorales et agricoles. Elle est parfois perçue comme l'héritage pesant d'une histoire récente et malheureuse du milieu rural. Les enjeux y sont nombreux, comme nous l'avons précédemment évoqué.
En réponse à cette diversité des enjeux, la Charte comprend trois grands objectifs :
• Réintégrer l'espace rural dans la vie du canton et soutenir la mobilisation des bois,
• Renforcer le lien agriculture / forêt,
• Préserver et valoriser le patrimoine forestier et promouvoir un développement équilibré du tourisme « nature ».
Une douzaine d'opérations sont prévues sur cinq ans pour mettre en œuvre ces objectifs : sentiers de découverte, amélioration de la desserte forestière, travaux de sylviculture (en forêt domaniale et privée), rénovation de la châtaigneraie et aménagements sylvopastoraux, etc…
Le programme de développement territorial passe avant-tout par une dynamique des acteurs locaux. L'opération châtaigne est effectivement l'action qui a suscité la plus grande mobilisation. Dans quel contexte est née cette action ?
 
2. La châtaigneraie du massif d'Annot

2.1 Les vergers de châtaigniers du massif d'Annot

Sur le massif d'Annot, d'après le centre régional de la propriété forestière (CRPF, 2001), le châtaignier a été introduit pour les besoins de la castanéiculture(5). Son implantation date vraisemblablement du XVI° siècle. Plusieurs arbres estimés à plus de 300 ou 400 ans attestent de sa présence lointaine. En revanche, la quasi absence d'arbres d'un âgé inférieur à 150 ans permet d'émettre l'hypothèse de l'arrêt des plantations après la Révolution de 1789.
Ces anciens vergers sont en cours d'abandon. Ils sont menacés par l'envahissement de broussailles et de pins sylvestre, ainsi que par diverses maladies. La châtaigneraie n'est présente que sur cinq communes du canton.
 
Description d'actions préalables
Même si la Charte qui orchestre l'action châtaigneraie est récente et innovante, des premiers essais de rénovation de la châtaigneraie ont déjà été menés. En 1995, on note que l'ONF avait fourni des plants aux propriétaires dans le but d'assurer la régénération de la châtaigneraie. Au demeurant, le dernier essai, piloté par la Chambre d'Agriculture des Alpes de Haute Provence (Chailan, 2001), date de 2001. L'étude a associé le CEEP (étude écologique), le CRPF (résumé du travail, cartographie, typologie) et la Chambre d'Agriculture (volet patrimoine et tourisme). Il s'agissait de la mise en place d'une opération de taille selon deux procédés bien distincts, avec pour but d'entrevoir des solutions de remise en valeur paysagère et de production des châtaigniers. A cette occasion, pour concrétiser l'étude, la Chambre d'Agriculture a lancé l'idée de mettre en place la première fête de la châtaigne accueillie par la commune de Le Fugeret.
Cette action préliminaire de valorisation et de rénovation de la châtaigneraie a permis de sensibiliser les élus et les professionnels locaux et d'améliorer la compréhension des difficultés par rapport à la mise en œuvre d'une politique foncière. Pour autant, les travaux se sont avérés peu fructueux. Les propriétaires n'ont pas reçu avec un grand enthousiasme ce qu'on appelait alors la « coupe totem » qui rabat drastiquement le houppier de l'arbre (taille sévère où on ne laisse que le tronc de façon à obtenir une réaction vive de l'arbre). Les arbres ont plus ou moins bien réagi à cette technique : certains sont morts, d'autres - en majorité- repartent aujourd'hui. Au final, les apports positifs de cette action ne sont pas tant les résultats concrets sur les arbres mais la conscience nouvelle de la nécessité de protéger le patrimoine de la part des propriétaires de châtaigneraie. L'opération a aussi montré l'importance de l'animation pour maintenir la mobilisation des propriétaires.
Une dynamique s'est installée : l'action châtaigne est née.
 
Description des actions proposées
Sujet fort et mobilisateur, la démarche châtaigne se poursuit au sein de la Charte forestière qui compte deux fiches actions(6) la concernant (actions 2.2 « rénovation de la châtaigneraie » et 2.3 « valorisation des châtaignes »).
Les fiches sont issues du diagnostic réalisé par Cochaud (2003) qui a assuré une mission d'assistance et d'animation. Elles concernent une zone de vergers qui constitue un patrimoine de 231 ha, répartis en mosaïque de trois types de vergers(7) :
• verger entretenu : sol entretenu et en herbe, ramassage de châtaignes effectué, bon état sanitaire des arbres
• verger abandonné : sol embroussaillé, arbres dépérissant et présence de maladies, rejets non coupés, début envahissement par les arbustes
• verger dégradé : arrêt de l'entretien, colonisation du sol pas d'autres essences (ligneux), arbres en très mauvais états, persistance maladies, rejets au pied
 
Graphique 1 &endash; sources CRPF PACA (2001), Cochaud (2003)
 
La cartographie présente la dominance de tel ou tel type de vergers mais on peut trouver des arbres dégradés au sein de quelques ares d'une châtaigneraie entretenue. Ceci est du à l'extrême morcellement du foncier sur le canton d'Annot.
 
Compte-tenu de l'état de la châtaigneraie (46% de vergers dégradés, 37% de vergers abandonnés, 17% de vergers entretenus), les premières initiatives se concentrent sur la rénovation. Les premiers effets attendus sont le nettoyage au sol, les tailles sanitaires et l'augmentation de la production.
Les objectifs visés sont :
• remettre en état les châtaigneraies
• permettre le parcours par les animaux, favoriser le travail avec des éleveurs et les agriculteurs
• fédérer les propriétaires
• relancer la production de châtaignes
De plus, un volet concerne la mise en place de formations pour les propriétaires.
Les enjeux de la rénovation et de la valorisation de la châtaigneraie sont nombreux.
 
Photo 2. Châtaigneraie Argenton (CF- 2004)
 
2.2 Les enjeux de la châtaigneraie du massif d'Annot
La châtaigneraie représente, surtout pour les propriétaires, un grand enjeu patrimonial et paysager. Arbres majestueux, qui peuvent atteindre jusqu'à deux mètres de diamètre, ils s'insèrent dans des milieux insolites composés de terrasses et de blocs de grès. Les gens s'y promènent facilement. De plus, la châtaigneraie se transmet de génération en génération &endash; « lorsqu'on plante un arbre, nous savons que nos enfants en profiteront » (Laurent, castanéiculteur d'Ardèche).
Si pour les propriétaires, l'aspect patrimonial prime, la rénovation de la châtaigneraie regorge d'intérêts dans l'aménagement du territoire en combinant des enjeux pour la défense des feux de forêts, pour le tourisme, pour les bêtes (apport nutritif) ou encore pour sa production et sa rente économique ; d'où l'implication des élus et des collectivités territoriales.
Elle présente aussi un intérêt écologique fort : le Conservatoire des études des écosystèmes de Provence (CEEP, 2001) atteste de la présence d'une avifaune cavernicole et fortement anthropophile - rouge-queue à front blanc (Phoenicurus phoenicurus), torcol (Jynx torquilla), gobe-mouche gris (Musticapa striata) &endash; sur les vergers un minimum entretenus. Il révèle aussi l'existence de chauves-souris, de reptiles - lézard des murailles (Podarcis muralis)-, d'amphibiens (la salamandre tachetée), d'insectes (Lucarne cerf-volant, grand capricorne) et d'une flore spécifique (orchis coriophora en particulier). En conclusion, il encourage la restauration des vergers qui permettrait de conserver des arbres très âgés et d'entretenir une végétation herbacée favorables à une faune et une flore spécialisés.
Regardons maintenant d'un peu plus près la filière actuelle de la production de châtaignes.
 
2.3 Etat de la filière châtaigne &endash; « une production asphyxiée »
Sur le massif d'Annot, le marché était jadis florissant comme en témoignent les anciens. Ils estiment à 300 tonnes la production uniquement sur Braux au début du XXè siècle. Le ramassage des châtaignes commence vers la mi-octobre et se termine à la fin du mois de novembre.
D'après le questionnaire, les ASL de Braux, Le Fugeret et Méailles récoltent 6.800 kg de châtaignes. Il a été décidé de multiplier par trois le volume donné de châtaignes ramassées par les ASL, au regard non de la surface qui comprend tous les types de vergers mais du nombre d'adhérents ayant fourni des réponses, soit un peu plus d'un tiers des adhérents. En extrapolant, nous pouvons estimer que la production de châtaignes en 2003 est d'un peu plus de 20 tonnes.
 
Graphique 3 &endash; Source ASL (annexe 2)
Consommation et vente
En dehors de la consommation dans le cercle familial et amical, une partie des châtaignes est destinée à la vente. La commercialisation passe le plus souvent par un négociant. Il est impossible de connaître la quantité vendue à ce jour, n'étant pas déclarée.
Avant la vente, les propriétaires trient les châtaignes mais n'appliquent pas de méthode de conservation par trempage. Les fruits sont conditionnés dans des sacs. Certains les stockent en chambre froide, ce qui leur permet de les vendre après le pic de production.
La qualité des fruits et le calibre sont variables. Quelques rares propriétaires récoltent des marrons. Les variétés courantes sont : la raboune de Méailles, la sœur de Braou, la commune, la fer (variété non greffée) et la cristole (petit marron). Elles sont reconnues pour leur qualité gustative.
Tout dépend des propriétaires, mais les sacs contiennent souvent toutes châtaignes ramassées confondues. Nonobstant, mis à part un agriculteur qui possède un aspirateur à châtaignes récoltant petites et grosses châtaignes qu'il calibre ensuite, les personnes qui ramassent à la main essayent de récolter les fruits les plus gros. Le prix de vente déclaré par les propriétaires varie entre 1,5 euros et 5 euros. Tout dépend du calibre mais la plus grande partie des châtaignes du canton sont vendues entre 2 euros et 3 euros directement à un négociant.
Il n'existe quasiment pas de transformation. Quelques traiteurs/bouchers sur Annot préparent des plats à base de châtaignes toute l'année : saucisson aux châtaignes et pâtés aux châtaignes. On peut déguster de la crème de marrons à la Rouïe (Le fugeret). Des plats à base de châtaignes agrémentent également, en saison, les menus de divers restaurateurs.
Face à tous ces enjeux, il est urgent de se réapproprier cet espace en cours d'abandon. Plusieurs acteurs se mobilisent pour sauver la châtaigneraie.

3. Les acteurs de l'opération châtaigneraie

Les ingrédients nécessaires pour réussir une opération de rénovation sont : des propriétaires motivés qui se sont regroupés en associations syndicales libres, des techniciens (études et travaux), des financeurs et un animateur pour coordonner et animer le déroulement des actions. Tous les facteurs de succès sont donc ici réunis.

3.1 Les associations syndicales libres (ASL) (8)

Trois associations ont été créées en 2003 avec l'aide du CRPF, à la suite diagnostic établi par Pierre Cochaud.
Une première association se situe à Braux. Ce village est considéré par les habitants comme l'ancienne « capitale de la châtaigne » du canton d'Annot. Au début du XX° siècle, les habitants récoltaient plus de 300 tonnes de châtaignes. Ces dernières, réputées sur les marchés de Nice et de Marseille, faisaient que les châtaignes des villages alentours se trouvaient étouffées sous l'appellation « châtaignes de Braux ». La commune, dont le blason porte une châtaigne, développe des sentiers touristiques (9) autour de cette culture.
Association La Castagno de Braou (Braux)
Directeur : André Grac
Nombre d'adhérents : 37
Age moyen : 53 ans, avec 60% des gens qui ont entre 30 et 40 et 40% entre 65-75 ans
Résidence : 70% de résidents secondaires
Situation professionnelle : 1 agriculteur, majorité de personnes en activité
Surface des parcelles : 49,25 ha (soit environ 60% de la châtaigneraie de la commune encore en verger)
Taille des parcelles : de 0,2 ha à 3 ha (souvent, un propriétaire possède plusieurs petites parcelles non limitrophes)

Production estimée : presque 8 tonnes

Tableau 1 - Sources : ASL la Castagno de Braou et questionnaire récolte 2004
 
Le village de Le Fugeret est le berceau d'une deuxième association, l' « association fugerétaine pour la rénovation de la châtaigneraie ».
Association fugerétaine pour la rénovation de la châtaigneraie (AFREC)
Directrice : Jeanine Leydet
Nombre d'adhérents : 26
Age moyen : 55-60 ans
Résidence : majorité de résidents permanents (20 personnes)
Situation professionnelle : 5 agriculteurs, majorité de retraités
Surface des parcelles : 92 ha (10)
Taille des parcelles : 0,2 ha à 3 ha (souvent, un propriétaire possède plusieurs petites parcelles non limitrophes)
Production estimée : environ 10 tonnes
Tableau 2 - Sources : AFREC et questionnaire récolte 2004
 
En continuant la route étroite de Le Fugeret, on arrive sur le village perché de Méailles, où niche la troisième association, « la Raboune de Méailles ».
La Raboune de Méailles
Directeur : Jean-Charles Bonnet
Nombre d'adhérents : 20
Age moyen : 50 ans
Résidence : 65% de résidents secondaires
Situation professionnelle : 1 agriculteur, majorité des adhérents en activité
Surface des parcelles : 26 ha (soit, 80% des vergers de la commune)
Taille des parcelles : 0,2 ha à 3 ha (souvent, un propriétaire possède plusieurs petites parcelles non limitrophes)
Production estimée : un peu plus de 2,7 tonnes
Tableau 3 - Sources : ASL la Raboune et questionnaire récolte 2004
 
Sur un autre versant, à Castellet les Sausses, l'association « la Verdale » est en cours de création. Cette quatrième association devrait se constituer dans le courant du mois d'Août. L'équipe d'animation du Pays Verdon, Vaïre, Var précise que la non appartenance de la commune au périmètre de la Charte forestière du massif d'Annot ne posera pas de problème. L'objectif d'une Charte de territoire étant d'avoir une cohésion à l'échelle d'un territoire, la participation de tous les propriétaires de châtaigneraies à ce groupe de travail semble logique.
La Verdale, à Castellet Les Sausses
(en cour de création, les renseignements restent donc à confirmer)
Directrice : Chrisitine Degeorges
Nombre d'adhérents : 18
Age moyen : 45 ans
Résidence : proportion égale de résidents permanents et de résidents secondaires
Situation professionnelle : 2 agriculteurs, majorité des adhérents en activité
Surface des parcelles : 25 ha
Production estimée : non renseigné
Tableau 4 - Source : la Verdale, 2004
Compte-tenu des données fournies par les ASL et des réponses au questionnaire, nous pouvons pousser plus loin l'analyse de la structure sociale et foncière des ASL.
 
Les propriétaires &endash; « vers une nouvelle définition du castanéiculteur »
Les propriétaires de châtaigneraies n'habitent plus dans le canton d'Annot. Il est significatif de constater que plus des 2/3 des personnes de l'ASL de Méailles et de Braux résident dans les départements limitrophes (Bouches du Rhône et Alpes Maritimes en majorité). Seule l'AFREC compte plus de 70% d'autochtones. La délocalisation propriétés-propriétaires participent à l'abandon et la dégradation de la châtaigneraie.
En parallèle, on assiste à une situation dichotomique : des propriétaires âgés, des propriétaires jeunes. Nous pouvons constater une tendance au rajeunissement des propriétaires pour trois raisons :
• la diminution progressive des propriétaires âgés locaux et l'arrivée des enfants ayant entre 30 et 50 ans (héritage),
• les propriétaires qui habitent en dehors du canton qui ont tendance à être plus jeune,
• la vente des parcelles à des résidents extérieurs (résidence secondaire).
Cette évolution se fait particulièrement sentir dans les ASL de Méailles et de Braux. La transmission des terres s'accompagne ainsi d'un changement d'objectif : avant d'y trouver un enjeu productif, les propriétaires y cherchent un intérêt patrimonial.
Les propriétés se caractérisent désormais par la dominance de petites parcelles morcelées souvent inférieures à 1 hectare et réparties dans plusieurs endroits. Cet éclatement peut avoir deux impacts opposés. Il peut être favorable aux opérations de rénovation car il est plus facile d'effectuer des travaux et d'entretenir de petites surfaces. A contrario, il peut nuire par le manque d'unité des opérations et rend difficile d'envisager un développement économique sérieux.
Ces changements témoignent de la perte de l'identité agricole de la châtaigneraie. Sur les trois ASL, on compte approximativement 10 % d'agriculteurs et plusieurs retraités agricoles présents et actifs sur le terrain. Cependant, la châtaigneraie ne représente jamais l'activité dominante des agriculteurs. Ceux qui possèdent des troupeaux l'utilisent également pour alimenter les bêtes.
Plus largement, elle contribue de façon subsidiaire aux revenus des ménages. Elle permet notamment aux retraités d'avoir un revenu d'appoint.
 
Graphique 2. Source ASL (annexe 2)
 
Alors que la castanéiculture fait référence à la culture du châtaignier, à une activité locale et agricole, la nouvelle génération présente sur le massif d'Annot se compose de propriétaires fonciers, conscients de détenir un bout de terre patrimonial fort. On rejoint alors Nadine Allione (1998) qui parle d'une nouvelle identité du castanéiculteur.
La remise en valeur de l'espace castanéicole repose donc en majorité dans les mains des non-agriculteurs. Paradoxalement, que ce soit par souci économique ou environnemental, la finalité est identique : sauver un arbre noble.

3.2 Les partenaires techniques

Compte-tenu de l'état de la châtaigneraie, les ASL font appel à divers organismes techniques pour réaliser les études et diriger les travaux. Les relais principaux sont l'Office national des forêts, la coopérative Provence forêt et le Centre régional de la propriété forestière.
 
L'Office National des Forêts (ONF) est un Etablissement Public à caractère Industriel et Commercial.
Il intervient en tant que prestataire de services dans le cadre de la maîtrise d'œuvre d'étude pour les ASL de Méailles et de Braux.
Les études comprennent :
• Les actions de rénovation des vergers avec taille, débroussaillage, réhabilitation de la desserte, réfection des terrasses, irrigation des vergers
• La possible conversion en châtaigneraie à bois dans les secteurs où la forêt a largement pris le dessus
Au vu des résultats de cette étude, les propriétaires décideront des travaux qu'ils souhaitent engager.
Le bureau de l'ONF chargé de l'étude est situé à Annot.
 
Le centre régional de la propriété forestière (CRPF) est un établissement public administratif. Il s'occupe de la forêt privée.
Assurant une compétence technique pour répondre aux questions sur la forêt et son milieu (diagnostic stationnel, état sanitaire, desserte, réglementation, fiscalité…) et présentant des capacités d'écoute et de conseils pour valoriser le patrimoine forestier des propriétaires, le CRPF a mené l'étude préliminaire d'un plan de valorisation et de rénovation de la châtaigneraie d'Annot (2001). Dans son rôle d'animation, le CRPF a accompagné la création des ASL. Les référents sur le projet châtaignes sont basés à Digne.
N'étant pas gestionnaire, le CRPF travaille ici en partenariat avec la Coopérative Provence Forêt qui s'occupe du volet gestion et la mise en œuvre des travaux concernant la rénovation de la châtaigneraie.
 
La Coopérative Provence Forêt, coopérative régionale, propose une gamme de services aux propriétaires. Elle a mené une étude, comprenant l'état sanitaire des arbres et les travaux à réaliser, sur la châtaigneraie de Le Fugeret. C'est elle qui a la maîtrise d'ouvrage déléguée de l'ASL AFREC. Elle leur assure le montage des dossiers de demande de subventions et assure des avances de trésoreries. Les travaux commenceront normalement dès cet hiver.
Elle devrait aussi prendre en charge les travaux de Castellet les Sausses.
 
Le centre d'études et de réalisations pastorales Alpes Méditerranée, le CERPAM, intervient à titre d'expertise et de diagnostic concernant la valeur pastorale sous les châtaigniers.
 
La Chambre d'Agriculture des Alpes de Haute Provence a participé au lancement de plusieurs opérations de rénovation et de valorisation de la châtaigneraie (travaux 2001, fête de la châtaigne de Le Fugeret). Après l'étape de rénovation de la châtaigneraie, elle interviendra à différents niveaux :
• Mise en place de formations
• Support méthodologique, juridique et économique pour la mise en route de groupements (CUMA, coopératives…)
• Assistance sur la mise en place d'ateliers de transformation (atelier, moulin…)
 
L'action châtaigne est aussi soutenue par différents partenaires financiers.
 
3.3 Les modes de financement
Assurées par l'Europe, l'Etat, la Région ou le Département, les subventions des travaux de rénovation s'élèvent à 80% maximum (sur le hors taxe ou le toutes taxes comprises selon les travaux et les financeurs prévus). Les 20% restants sont à la charge du propriétaire. Seules les parcelles disposant d'une desserte sont éligibles au financement.

3.4 L'animateur

Enfin, l'animateur de la Charte forestière du massif d'Annot intervient à plusieurs titres : animation, coordination ou encore relais entre les élus, les propriétaires et les techniciens. Son dynamisme permet de maintenir la mobilisation des acteurs, de fédérer le mouvement châtaigne, et d'assurer la cohésion des actions en cours.

Ainsi, les actions de rénovation et de valorisation de la châtaigneraie inclues dans la Charte forestière du massif d'Annot impliquent de nombreux acteurs. Elles apparaissent comme innovantes. En effet, elles s'inscrivent dans l'évolution des politiques associées à l'émergence de comportements citoyens nouveaux qui font apparaître la nécessité de ne plus se contenter d'un système transversal fondé uniquement sur le principe de volontés dictées d'« en haut », qui laissait, alors, aux seuls soins des élus la possibilité de choisir les orientations à prendre dans des actions de développement territorial. La charte forestière est donc mise en avant comme une solution modèle de nos modes de gestion à travers, par exemple, sa multifonctionnalité ou la co-décision et l'autogestion qui placent toutes les personnes concernées par la forêt en position d'action et de prise de décision.

Cependant, il ne s'agit pas d'avoir une vision « magnifiée » des choses et de célébrer ce nouvel outil de développement territorial. La Charte forestière doit être considérée comme une plus-value qui vient renforcer et compléter la dynamique d'un territoire. Au stade d'expérimentation, cet outil et ses artisans se perfectionnent. A ce titre, tous les acteurs des deux actions châtaignes s'engagent réciproquement, et ce en dépit de limites que nous évoquerons en dernière partie.
 
Il convient maintenant d'orienter notre propos sur les travaux qui sont envisageables pour rénover la châtaigneraie. Cette deuxième partie, très technique, répond à une des commandes du stage.

(1) Des questionnaires ont aussi été envoyé à une quatrième ASL, celle de Castellet Les Sausses, mais n'étant pas encore constituée à la fin du stage, les réponses ne sont pas ici prises en compte. 
(2) Site de la Charte forestière - http://www.ofme.org/chartes/documents/chartes/FichesActionsAnnot.pdf 
(3) Rapport Bianco, 1998 : « La forêt : une chance pour la France ». Bianco est alors Président du Conseil Général des Alpes de Haute Provence en 1998, député des Alpes de Haute Provence, Maire de Digne-les-Bains. 
(4) Le Conseil Général à fait appel à Pierre Cochaud
(5) La châtaignier a d'abord été cultivé pour ses fruits. Toutefois, les gens des villages utilisaient le bois pour fabriquer des outils (charrettes, brouettes…) ou pour certains meubles.
(7) Annexe 5
(8) Les données suivantes viennent des ASL ou du questionnaire. Cf annexes 2 et 5 pour avoir quelques données chiffrées
(9) La commune a réalisé un sentier découverte de la châtaigneraie avec une brochure à destination des scolaires. Un autre sentier « les portes de la châtaigneraie » devrait voir le jour prochainement.
(10) 92 ha, soit un territoire supérieur à celui des vergers annoncés par le CRPF (2001). En fait, les propriétaires peuvent inscrire des terrains abandonnées qui n'appartiennent plus à la catégorie « verger » mais « forêt ».